"Un nouveau jour, une nouvelle aventure !"

C'était le slogan fétiche de Rufus, quand il était d'excellente humeur. Moi, j'étais plutôt du genre "un nouveau jour, de nouvelles emmerdes", mais pour être parfaitement honnête, cela faisait longtemps que je menais un train de vie plutôt calme.

Entre les bras d'une jolie demoiselle de profession peu honorable, je réfléchissais à ce que j'allais faire de cette nouvelle journée qui venait à peine de démarrer, bras croisés sous ma tête. La demoiselle, une belle rousse à la peau de marbre, se glissa hors du lit recouverte de l'un des draps et se dirigea vers mes affaires. Sa longue chevelure, quoi que bouclée contrairement à celle d'Eleanor, me faisait plutôt penser à celle de Lucia de par cette légèreté rebondissante. D'une curiosité enfantin, elle s'installa avec un charme fou sur une chaise, s'emparant de ma besace et fouinant dedans. Loin d'envisager une seule seconde un vol dans ma bourse, je la regardais faire, amusé, extraire un à un les objets que je gardais sur moi. Quand elle s'empara de la rune de capture que j'avais faite fabriquer par un bricoleur anonyme, je me redressais vivement. Non pas que je craignais qu'elle la brise ou autre, mais son émerveillement avait quelque chose de véritable adorable et attirant. La prenant pour une pierre très précieuse, elle se le posa sur la poitrine comme s'il s'agissait d'un pendentif luxueux et je vis s'éclairer dans ses yeux une lueur de bonheur. Il était vrai que les filles qui choisissaient ce métier ne le faisait pas par conviction, ou par choix, mais bien par absence de choix. Probablement qu'une telle pierre éveillait en elle des rêves de luxe et de richesse.

Bien malgré elle, en portant son intérêt sur la rune, elle me l'avait rappelé à mon bon souvenir, et par la même occasion, m'avait offert sur un plateau d'argent un excellent objectif pour la journée : aller m'en servir pour tenter de dompter un Cornu. D'après les recherches de Rufus et de Dahn, ce petit bouc, bélier, mouton ou que sais-je, une fois attaché à un maître en condition de familier, améliorait et exacerbait les pouvoirs magiques.
Une fois notre transaction terminée, je me rhabillais et lui laissais quelques pièces, gracieusement, pour la compagnie qu'elle m'avait offerte durant la nuit. Un rapide petit-déjeuner à la taverne la plus proche pour me mettre en forme, et je me dirigeais prestement vers les portes d'Arswalt, direction les campagnes pour faire d'un gentil petit Cornu mon futur compagnon de route.

En moins d'une heure, je traversais les jolies campagnes arswaltiennes, repassant par le même coin où j'avais observé - plutôt qu'aider - Eleanor combattre un cerbère, en présence d'un acolyte dénommé Mélaskholès.
J'investiguais quelques champs de blé, regardait partout où une de ces créatures pouvaient se cacher, le tout battant d'une brindille ramassée plus tôt. Sans succès, jusqu'à ce que j'entende un léger bêlement, à peine audible même, plus au nord. Je refusais de me presser, c'était le meilleur moyen pour que la créature s'enfuisse, et je voulais à tout prix hésiter de courir derrière lui.

Au plus je me rapprochais de la zone d'où je pensais entendre ces cris, au plus ils me parvenaient aux oreilles comme étant plaintifs. Peut-être allais-je tomber face à un tout jeune cornu en danger, coincé quelque part entre deux roches.
Les bêlements me conduisirent à un vieil arbre esseulé, à l'écorce épaisse et au feuillage fourni. Son ombre s'étalait sur une très large zone, et il me fallut me rapprocher considérablement pour comprendre quelle était la situation.

Un cornu, sans doute en résultat d'un combat de dominance avec un autre, avait ses cornes plantées et visiblement coincées dans le tronc de l'arbre. Allez savoir depuis combien de temps il était coincé là, gémissant et plaintif. Et c'est là que je fus totalement partagé. Partagé entre mon bon cœur qui m'incitait à lui porter secours, et mon autre côté qui m'appelait à profiter de la situation. Ainsi prisonnier de l'écorce, il lui était impossible de s'en prendre à moi, et il faisait une cible très facile. Je pris le temps de la réflexion quelques instants, avant de sortir mon sceptre flambant neuf, ou presque.

« Tu ne vas tellement pas te faire d'amis si tu viens un jour à raconter ça ... », me sermonnais-je.

M'excusant platement face au cornu, je fis claquer mes doigts et généra une étincelle sur laquelle je me concentrais pour la transformer en véritable boule de feu. Le cornu s'agita, bêlant de plus en plus paniqué, très certainement sentait-il sa mort toute proche ...
J'arrêtais ma concentration plus tôt que prévu, choisissant délibérément de lancer une boule de feu de taille plutôt moyenne, estimant qu'une si petite créature ne méritait pas pareil acharnement, et la lançait en sa direction.

La boule de feu fila et frappa le cornu, dont la laine s'embrasa comme de la ouate. Les cris que la malheureuse créature poussa me fendit le coeur, et je m'étonnais même de la violence de mes flammes.

« Mon p'tit Iain, décidément, tu ne connais pas ta force ... »

Quelques minutes plus tard, le silence retomba et en quelques instants seulement, il ne restait plus que des cendres. Ce n'est qu'à la fin de la combustion que je songeais à sortir ma rune de capture et la brandit vers le tas carbonisé.

Spoiler:

Une lueur fantasmagorique s'éleva du tas de cendres et se mit à flotter comme un petit feu follet luminescent. J'étais à la fois apeuré et fasciné par l'événement, et ne sachant trop quoi faire, je brandis la rune devant moi. Un réflexe probablement humain, et somme toute, logique si je voulais capturer la créature.

Le processus de domptage m'était complètement étranger, et je dois avouer que, très terre à terre que j'étais, je ne parvenais pas à comprendre comme je pouvais faire d'une créature un familier s'il n'en restait pas grand chose ... et surtout, si je venais de la tuer. Pourtant, c'était bien la règle à respecter et bien sagement, j'obéissais - même si j'avais l'air d'un con.

La petite boule luminescente dansa dans les airs comme une cloche se balançant de droite à gauche avant de ralentir et de vibrer fortement. Puis, dans un éclair vif, elle fonça vers moi pour être ensuite absorbée par la rune qui s'illumina tout en se remplissant.
Calée dans la paume de ma main, elle se mit doucement à chauffer, ce n'était pas désagréable, c'était comme tenir un caillou qui était resté trop près du feu et qu'on se servait pour calmer certaines douleurs et rhumatismes.

Et ce fut tout. La couleur de la rune redevint normale et la chaleur s'estompa - ou se mêla à la mienne, je n'aurais su dire. C'est à cet instant précis, au moment où je me sentais le plus idiot du monde, que je réalisais que j'ignorais totalement quoi faire ensuite. Oui, la capture avait pris, mais maintenant, je ne savais pas comment invoquer la créature que je venais de dompter. Heureusement que j'étais seul dans le secteur, je pus à foison tester mille et unes petites choses, toutes plus ridicules les unes que les autres. Jusqu'à ce qu'enfin, quelque chose fonctionne.

Dans un nuage de fumée, le cornu que j'avais fait mon familier apparut en bêlant. Un échange de regard eut lieu entre nous, et l'animal - plus petit que l'original, d'ailleurs -, me tourna subitement le dos, comme s'il me boudait.

« Whaa allez ! Tu ne vas pas faire ta mijaurée, mon p'tit gars ! Ca vaaaa : je suis désolé ! J'avoue, c'était moche, t'attaquer ainsi quand tu étais le plus faible ... Mais positive ! Au moins, tu n'es plus prisonnier de l'arbre ... »

Je ne savais pas trop ce qui m'avait pris. C'était la première fois que j'avais ressenti cette envie de parler à un animal, alors même que c'en était ridicule : ce n'était pas comme s'il pouvait me répondre. Et pourtant, je m'étais adressé à lui sans y réfléchir à deux fois.
Le cornu tapa du sabot au sol, toujours aussi courroucé.

« Je connais un coin d'herbe tendre ... je pourrais t'y conduire si tu daignes m'y accompagner. Qu'en penses-tu ? »

Il battit d'une oreille, intrigué, puis se tourna vers moi, encore un peu méfiant.

« Si tu m'acceptes comme maître, je m'arrangerai pour qu'il y ait régulièrement de jolis horizons, et toujours de quoi brouter. Qu'en dis-tu ? »

Et je vous jure, je ne suis pas fou et je n'avais pas bu, mais je vous jure sur le grand Arbre de vie que ce cornu eut hoché de la tête.