Lorsque son initiation fut terminée, Mélaskholès patienta quelques instants devant la porte qui s'était refermée derrière lui. Il resta là peu de temps, une heure ou peut-être deux. Il lui arrivait parfois d'être raisonnable et il avait jugé inutile de rester plus longtemps. Après tout, il n'avait guère de temps à perdre inutilement. Fort satisfait de sa vive décision, il se mit à arpenter les rues comme si les évènements de ces derniers jours n'étaient jamais arrivés.

Le jeune homme finit par s'arrêter devant une boutique. Les passants le virent alors plaquer son visage contre la vitre comme pour mieux admirer ce qu'elle contenait. Il resta ainsi quelques temps, mais suffisamment longtemps pour intriguer ceux qui le voyaient faire. C'est alors qu'ils venaient à leur tour tenter d'observer de près ce que Mélaskholès regardait. Ils mettaient leurs mains à leur front pour se mettre à l'abri des reflets. Mais il ne restaient pas longtemps ainsi, car malgré l'intérêt que Mélaskholès portait à la vitrine, personne d'autre que lui ne partageait sa curiosité.

Cela suscita un véritable grabuge autour de lui. Tel un jeu, les habitants cherchaient à saisir l'objet qui captait tant l'attention de ce drôle de jeune homme. Le pauvre marchand qui se trouvait au milieu de tout cela avait affiché une mine renfrognée au départ car il n'avait jamais aimé ces affreuses tâches rondes que laissaient les fronts sur les vitres. Dès le départ, Il avait dégainé son chiffon, prêt à s'en servir à la première occasion. Il avait fait preuve de patience jusque-là et grand bien cela lui fit. En effet, sa boutique captait absolument tous les regards ! C'était une chose incroyable. Le marchand vit dès lors de nouvelles taches apparaître au fur et à mesure que les passants venaient eux-aussi coller leur front. Quand les premiers clients se pointèrent dans la boutique, il réalisa une chose. Parfois une tâche, se mit à penser le marchand en regardant le drôle de garçon faire l'idiot depuis un bon bout de temps, ne devait pas être balayée d'un coup de chiffon.

Soudainement, Mélaskholès se recula. Une marque rouge était apparu sous son masque, mais personne ne pouvait le voir cependant. Son regard semblait étinceler en cet instant. Il entra alors dans la boutique, désertée depuis bien longtemps maintenant. L'intérêt qu'il avait suscité jusqu'alors s'était dissipé. Le marchand l'attendait de pied ferme. Il avait bien l'intention de lui demander quelques comptes à celui-là !

« Dis-moi l'idiot du village ! Qu'est-ce que tu faisais tout à l'heure ? Qu'est-ce que t'avais à regarder comme ça ma vitrine, elle te plaît pas ?  » Il avait croisé les bras et attendait une réponse. Et mieux fallait pour Mélaskholès que celle-ci parvienne à le satisfaire.

Le drôle de garçon se tourna vers lui et sembla seulement remarquer sa présence. Malgré le temps passer à regarder sa boutique, il ne l'avait même pas remarqué. Il ne douta pas un seul instant des talents de discrétion de ce marchand.

« Vous devriez ne pas vous cacher ainsi ! Vous pourriez faire peur à vos clients... » Dit-il avec sincérité. « Avouez que ça fait un drôle d'effet sur vos clients et avouez tout de même que ce serait regrettable, n'est-il pas ? » Il posa sa question d'une innocence qui ne pouvait tromper personne. Le marchand desserrera les poings et le regarda la bouche ouverte. Qui était ce drôle de personnage ? Ce dernier poursuivit avec toujours autant de légèreté. « Votre boutique est fascinante ! J'y ai trouvé quelque chose de particulièrement intéressant voyez-vous. »

Toujours pas au bout de ses surprises, le marchand haussa un seul et unique sourcil. Ses marchandises qui pourrissaient depuis des lustres sur leurs étagères dissimulaient donc un trésor ? Peut-être parviendrait-il à lui vendre deux ou trois trucs invendables. Il se frotta les mains lentement, réfléchissant à la meilleure approche à adopter. Un pigeon comme celui-là, il ne fallait pas le laisser s'échapper. Il s'approcha donc tout près de Mélaskholès, mettant en pratique les leçons apprises par le passé. Il lui fallait accentuer la proximité avec le client pour instaurer un climat de confiance.

« Et que mon cher monsieur a-t-il vu qui l'intéresse tant ? » Une chose chère, espérait-il en lui posant la question. Et si cela n'était pas le cas, il ferait en sorte de le convaincre qu'elle l'était.

Mélaskholès amplifia la proximité en s'approchant à son tour encore plus près du marchand. Il semblait avoir une confidence à lui faire. Et quelle confidence ! Il était heureux de trouver une oreille attentive à ses découvertes. Qui garderait pour soi une découverte aussi inestimable ? Qui plus est, le marchand avait joué son rôle et il lui en était reconnaissant. Ainsi, Mélaskholès en vint à ses confessions.

« J'ai trouvé mon reflet dans votre boutique ! » Dit-il en applaudissant sur place tant il lui était difficile de contenir toute cette joie en lui.

Spoiler:

Lilith n’avait toujours pas décidé de ce qu’elle pensait réellement de tout cela lorsqu’elle prit la direction du centre-ville. Son agacement perdurait. Cet homme était décidément dès plus antipathique ! Sans doute devrait-elle vendre cette clef pour s’assurer le gîte et le couvert pour la soirée … Elle avait peut-être plus de valeur qu’elle ne pensait, en plus de sa composition en elle-même ? Après tout, des inconnus l’abordent et lui attribuent une mission proche du divin et elle devrait les croire sur parole ? Ok, tout cela avait l’air dès plus officiel mais tout de même … N’était-elle pas naïve d’y croire ? Ne chercherait-elle pas un but à une existence dont elle ne trouvait plus de sens ?

Elle débattait encore avec elle-même, observant l’objet au creux de sa main, quand un signe du destin la conforta dans sa décision. Un attroupement avait lieu prêt d’une boutique. En temps normal, elle se serait arrêtée brièvement, le temps d’en comprendre la raison, avant de s’en désintéresser. Mais un grand homme à l’allure étrange, portant un chapeau et des habits colorés attira son regard. Elle se figea de l’autre côté de la rue, et l’observa d’un air curieux. Outre son accoutrement dès plus ostentatoire et, du moins le jugea-t-elle, assez peu esthétique, il présentait surtout un comportement dès plus curieux.

« Regardez-le celui-là ! » se moqua le propriétaire de la boutique devant laquelle elle s’était arrêtée et qui faisait face à celle qui attirait l’attention de tout ces gens, « Il a réussi à rameter tout le quartier devant la bicoque du vieux Éon ! Je me demande bien ce qu’il a put y trouver de si intéressant dans tout ce fourbi. »

Lilith observa l’homme avec amusement. Une rivalité bon enfant se dégageait de son discours et l’œil pétillant du marchand l’incita à répondre en reportant son attention sur la scène qui se jouait sous leurs yeux. Elle cernait parfois mal les gens et elle n’était pas sur de saisir le sens réel de ces paroles, aussi crut-elle à de la jalousie. Elle répondit avec ironie.

« En tout cas, il se fera sûrement son chiffre de la semaine, lui. Peut-être aurait-il du s’arrêter chez vous, cet étrange personnage, ainsi vous auriez vendu plus de ... », elle observa la boutique derrière elle d’un air dubitatif avant d’achever, « d’ingrédients … D’herbes, de fleurs séchées, tout ça. »

L’homme lui sourit avec bonhomie.

« Ça m'étonnerait qu'il fasse fortune, l’Éon ! M'enfin, si jamais il y parvient, je suis sur qu'il saura me faire profiter de ce coup de chance, jeune fille. »

Lilith haussa un sourcil en réponse, se demandant bien pourquoi l’homme ferait cela. Mais sa bicoque se vidant finalement aussi vite qu’elle ne s’était remplie, rien n’était moins sûr. Visiblement pas surpris, l'antiquaire haussa les épaules avant de rejoindre sa propre boutique. Elle, resta plantée là à observer le jeune homme, le front collé à la vitre, sans vraiment savoir ce qu’elle cherchait. Ce type était bien trop bizarre pour avoir été choisie par l’Arbre de Vie, et pourtant … il ressemblait à s’y méprendre à la description que l’homme de la salle d’initiation lui avait faite un peu plus tôt. Il ne devait pas y avoir beaucoup d’hommes semblable à un saltimbanque à Aswalt, hormis les saltimbanque eux-même. En était-il ? Elle en avait parfois croisé, et elle n’en avait jamais vu agir d’aussi étrange façon. L’homme pénétra la boutique, se dérobant à son regard. Elle finit par hausser les épaules, car au final, peu lui importait sa bizarrerie. Elle avait vue bien plus insolite, et plus dangereux, durant sa courte existence.

Sa curiosité la poussa malgré tout à rejoindre la boutique à son tour. En entrant, elle se figea sur le seuil pour habituer son regard à l’obscurité ambiante. L’homme se trouvait au fond de la boutique, discutant avec le marchand. Elle s’approcha en consultant les objets exposés avec curiosité. Que cherchait-il donc dans cet endroit ? Au vue des mots qui lui parvinrent finalement, le vendeur semblait prêt à faire affaire mais la réponse de son client, et son attitude, arracha un éclat de rire cristallin à la jeune acolyte. Elle s’empressa de l’étouffer en couvrant sa bouche de sa main.

Surprise en pleine espionnage, bien qu’elle ne se soit pas cachée, leur regard sur elle la poussa à redresser la tête avec fierté. Elle toisa le marchand avec amusement.

« Vous ne risquez pas de faire affaire aujourd’hui ! » prononça-t-elle alors, « Pas de chance, ça semblait pourtant bien partie. »

Elle ne lui jeta pourtant pas un regard, observant le grand homme masqué avec une curiosité renouvelé. Sérieusement, c’était lui dont on lui avait parlé … ? Non, ce devait être une erreur. Elle s'adressa finalement à lui, d'un ton de reproche par contrariété de s'intéresser à lui presque contre sa propre volonté.

« Ce n'était pas très gentil de faire de faux espoirs à ce pauvre homme, l'ami. »

Au fond, elle n'en avait cure mais c'était avant tout pour engager la conversation. Mais pourquoi le cherchait-elle réellement d’abord … ?

Encore enivré par sa récente découverte, Mélaskholès n'avait pas remarqué qu'une jeune femme était entrée dans la boutique. C'est pour cette raison qu'il sursauta comme un diable lorsqu'elle se manifesta de son rire soudain. Il se tourna alors vers elle, la main sur le coeur. Il le sentait battre à tout rompre. Il voulait à tout prix voir qui était à l'origine d'une telle frayeur. A tous les coups, ça devait être une horrible personne, celle qui d'un simple regard peut vous effrayer et dont la simple apparence suffisait à vous horrifier. Il ne pouvait douter d'une telle chose et c'était même une certitude. Avec appréhension, il découvrit néanmoins que la jeune femme n'avait rien de tout cela. Elle dissimulait cependant sa bouche. Il jugea qu'elle cherchait probablement à cacher quelque chose. Son intuition était rarement la bonne et pourtant il se fiait toujours à elle.

Elle s'adressa directement au marchand qui ne réagissait déjà plus. Mélaskholès pensa que lui aussi devait être affreusement horrifié par l'intervention de cette jeune femme. C'est alors que cette dernière vint jusqu'à eux. Mélaskholès se glissa discrètement auprès du marchand, trouvant un certain réconfort dans cette proximité. Curieux malgré tout, car le mystère de ce qu'elle avait caché à l'aide de sa main restait total, il se mit à la fixer sans ménagement, portant plus précisément son attention sur sa bouche.

« Ce n'était pas très gentil de faire de faux espoirs à ce pauvre homme, l'ami. » Dit-elle, dévoilant ses jolies dents. Ce fut au tour du jeune homme de rester pantois quelques instants. Comment cela était-ce possible ? Il était persuadé jusqu'alors de découvrir quelque chose d'affreux. Peut-être fallait-il se méfier d'elle... En effet, elle semblait étrangement imprévisible.

« Ce n'est pas très gentil de nous effrayer non plus, l'amie ! » Répliqua-t-il sur le même ton que la jeune femme. C'était vrai en même temps, qu'avaient-ils tous à vouloir le surprendre et lui faire peur ? A croire qu'il fallait se cacher dans cette boutique. Après le marchand, c'était au tour de la nouvelle venue. Cette prise de conscience ne fit qu'accentuer la méfiance à son égard. Passé maître dans l'art de se montrer curieux, il poursuivit.

« J'aimerais éviter toute mauvaise surprise, car voyez-vous je n'aime que les bonnes. Les mauvaises ont tendance à être... pas bonnes, vous ne trouvez pas ? Cela peut sembler curieux... dit-il sur un ton de confidence. Mais croyez-moi pour en avoir fait l'expérience.» Il s'arrêta quelques instants d'un air tout à fait sérieux. En même temps, ce qu'il disait était fondamentalement sérieux. Il s'agissait là d'une réflexion nécessitant beaucoup d'expériences et il tenait à le faire savoir. Puis il reprit soudainement. « Oui, je n'aime pas les mauvaises surprises donc dîtes-moi ce que vous cachiez derrière vos mains ! Sachez que j'apprécierais grandement, comme ce pauvre marchand...  Ajouta-t-il en désignant l'intéressé.  Qui ne parvient toujours pas à se remettre de la frayeur dont vous êtes à l'origine !

La réplique de l’étrange personnage eut le don de lui arracher un rictus ironique. Il lui en fallait peu pour s’effrayer s’il s’offusquait d’avoir été surpris par un simple rire. De là où elle venait, on s’apeurait de bien pire. Un rire aurait plutôt incité à la détente et reçu comme un appel à la camaraderie, sauf s'il était moqueur, bien entendu.

« Navrée. » prononça-t-elle sans aucune sincérité.

Lilith n’avait jamais rimé avec empathie. Elle n’avait strictement rien à faire des état d’âme de cet homme et d’ailleurs, elle eut soudain l’envie de tourner les talons. Cet énergumène n’était probablement pas celui qu’elle cherchait. Il suffisait de l’observer. Pourquoi l’Arbre de Vie l’aurait-il élu lui … ? Allons bon, où était donc le guerrier dans ce grand dadais masqué aux airs de guignol ?! Elle s’était probablement trompé. Il n’était sûrement pas le seul grand homme avec un chapeau et des habits colorés dans le coin, n’est-ce pas ?

Elle en était là dans ces réflexions lorsqu’il reprit la parole. Les mots de cet étrange personnage eurent le don de la déconcerter un peu plus. Elle le dévisagea d’un air perplexe. Bien qu’elle ne sache à quoi s’attendre, ce n’était certainement pas à cela. Ce qu’il disait n’avait pas le moindre sens … Enfin, pour elle en tout cas. Le marchand étant prit à partie, elle échangea un regard avec ce dernier et le vide qu’elle put voir au fond de ses yeux lui confirma qu’elle n’était pas la seule à avoir été perdue dans cette histoire. Voilà qui était rassurant !

Reportant son attention sur l’énergumène masqué, elle laissa échapper sa perplexité avec un certain dédain. Elle n’avait rien contre la différence mais écouter les élucubrations d’un homme ayant perdu l’esprit ne faisait pas partie de ses passes-temps favoris. Généralement, elle fuyait car on ne pouvait entretenir une véritable conversation avec un individu pareil.

« D’accord … Visiblement, vous n’êtes pas seul là-dedans. » commenta-t-elle pour elle-même avant de reprendre un peu plus fort, « Écoutez, je n’ai rien à cacher. Je cherchais sûrement quelqu’un mais il faut croire que je me suis trompée. », elle adressa un dernier regard au marchand qu’elle salua d’un air désolé, « Bon courage, l’ami ! »

Elle pivota sur ses talons et prit la direction de la sortie, se demandant ce qu’il lui avait prit de croire les indications de cet homme insupportable qu’elle avait rencontré un peu plus tôt à la salle d'initiation. Trouver un compagnon de route … Et puis quoi encore ?! Elle n’était pas une demoiselle en détresse qui avait besoin d’aide. Elle mènerait à bien cette mission -si mission il y avait vraiment- seule ! Oui, parfaitement !