Je me baladais dans les ruelles d'Arswalt, mains dans les poches, cigarette au bec, avec cette nonchalance qui me définissait à merveille, suivant bien docilement Rufus et Dahn. Ils avaient en tête de parcourir toutes les boutiques du quartier marchand en quête d'un matériau pourtant courant : le bois de hêtre.
J'étais particulièrement de mauvaise humeur ce matin-là, car mécontent d'avoir été tiré de force du plumard pour faire des emplettes, j'avais cette très désagréable sensation d'être un gamin qui se préparait pour sa rentrée scolaire, obligé de suivre ses parents qui s'en allaient faire les derniers achats nécessaires. Le pire, c'était que c'était presque vrai : le hêtre était le tout dernier élément nécessaire pour la confection d'un nouveau bâton de magicien. Les deux compères étaient tous les deux en train de se disputer comme un vieux couple, à quelques mètres de moi, tandis que je soupirais allègrement.

Je ne les écoutais même plus à force, j'essayais seulement de faire en sorte qu'on ne me pense pas avec eux quand ils attiraient l'attention comme ça. Puis, un brouhaha et un rassemblement attira mon attention sur ma droite, et je m'arrêtais net pour regarder ce qui se passait. Une vingtaine de personnes étaient rassemblées autour d'un panneau de bois, où d'ordinaire, on affichait les missives royales et autres arrêtés officiels. Jusqu'à maintenant, il n'y avait qu'un ancien parchemin, très abîmé, qui rappelait aux citadins de bien se comporter dans l'enceinte de la capitale. Je n'étais pas très habitué avec les faits royaux, mais j'imaginais aussitôt l'annonce d'une cérémonie, ou d'une réception au palais. Ce n'est qu'en m'approchant et en rejoignant la foule que je vis les expressions inquiètes de la populace. Un bal n'aurait pas suscité de telles réactions ...

Toujours mains dans les poches, je haussais le menton pour lire par-dessus l'épaule du gars devant moi. Effectivement, un nouveau parchemin était placardé. J'en lu rapidement les mots rédigés soigneusement à l'encre.


La missive se terminait par quelques souhaits du roi, s'assurant que lesdits déplacements seraient limités par leur seule urgence, et en bas de parchemin était apposé un sceau de cire avec les armoiries royales. L'annonce était donc officielle. Sur certaines lèvres, je pouvais entendre parler de cerbère, mais j'ignorais totalement à quoi pouvait ressembler pareille créature.

- Pourquoi n'irais-tu pas, Iain ? me lança Rufus à mon oreille, me faisant sursauter.

Ils étaient tous les deux revenus dans ma direction, et avaient été, je supposais, également intrigués par l'avis de la cour.

- C'est vrai, ça ! enchaîna Dahn. Tu pourrais partir en quête et occire ces vilaines bêtes à toi tout seul !

J'émis un rire étouffé.

« Mais bien sur ! Comme si j'allais être assez cinglé pour me frotter à des monstres cracheurs de feu ... »

- Et pourquoi pas ? insista Rufus qui me rattrapait bien vite, alors que je m'éloignais pour reprendre notre sortie familiale.

« Parce que je ne suis pas taillé pour ça ? » répondis-je avec évidence. « Sa Majesté va sans doute envoyer ses hommes, ou sa milice, peu importe. Il s'en chargera bien. »

- Hm. Tu crois ? Moi, je pense qu'il va plutôt demander à des Élus de faire le travail à la place de ses hommes, intervint Dahn.

« Eh bien, raison de plus pour moi de ne pas y aller. Autant que les Élus les plus expérimentés y prennent part. Je ne vais certainement aller me frotter à des cerbères et risquer de crever comme un bouseux incompétent ... »

Soudain, je me sentis seul. Les deux compères avaient arrêté de me suivre, et je soupirais de soulagement. C'était le signe, pensais-je, qu'ils avaient abandonné cette idée saugrenue.
Mais une voix m'interpella de nouveau.

- Pourtant, ça te serait bénéfique. Si tu pars maintenant et que tu débarrasses le royaume de ces bêtes immondes, le roi ne pourra que te rendre gloire ..., disait Rufus.

La gloire. Comme si je m'en souciais ... Je m'en allais pour lui répondre quand il poursuivit aussitôt.

- ...et te promettre une récompense. Ne serait-ce pas une bonne chose que tu demandes à être exempt de toute plainte portée contre toi ? Ce serait en son pouvoir que de faire taire ces avis de recherche contre toi.

- C'est vrai ça, Rufus ! intervint gaiement Dahn à ses côtés, comme si je n'étais pas là. C'est totalement en son pouvoir ! Ses poursuivants n'auraient rien à dire, les chasseurs de prime encore sur ses traces* rebrousseraient chemin, et il serait entièrement libre ! Libre de s'en aller où il veut, libéré de nous également !

Je me tournais vers eux avec lenteur. Ces sournois ... Cela me faisait mal de l'admettre, mais ils avaient raison, cela pouvait très bien tourner en ma faveur, et m'offrir un meilleur avenir. Évidemment, actuellement je n'étais pas mal loti, mais je me devais toujours de faire attention, et d'être méfiant envers tout le monde de peur de tomber nez à nez avec un chasseur de prime. Je m'étais résolu à vivre tel le fugitif que j'étais, conscient que ma couverture actuelle pouvait être compromise et devoir quitter la capitale du jour au lendemain. Si Sa Majesté pouvait m'enlever cette épine du pied, c'était un coup à jouer. Enfin, à un détail près ...

« Faut-il pour cela que je revienne ... »

- Au moins, tu auras tenté !

- C'est vrai ! acquiesça Dahn. Qui ne tente rien, n'a rien !

Je grinçais des dents. Je détestais qu'il utilise sans cesse ses dictons pour clôturer des conversations ... Abandonnant toute répartie, je soupirais longuement. C'est ainsi que j'acceptais une mission que personne ne m'avait adressée, mais dont les enjeux pouvaient changer ma vie.


Rufus et Dahn ne me laissèrent pas le temps de profiter du reste de la journée, même, ils abandonnèrent leur recherche de hêtre pour me forcer à rentrer à la boutique pour me préparer. Ils s'affairaient tous les deux à rassembler des provisions, et je les regardais faire sans mot dire, sans même bouger le petit doigt. Je me demandais ainsi, en rêvassant un peu, si leur motivation ne venait pas du fait que ma présence chez Rufus ne commençait pas à devenir trop pesante, qu'ils cherchaient sans cesse à ce que je parte en montagne miner du cuivre, que je parte en forêt latter la gueule aux dravens ou que je saute sur la première occasion d'améliorer mes conditions de vie. Il était vrai que j'abusais de leur générosité, mais je ne l'avais jamais cherché non plus, et jusqu'à présent, j'étais même plutôt certain de me faire le plus petit possible pour ne pas être un trop lourd fardeau pour eux deux. Finalement, cette réflexion était la meilleure des motivations pour moi, et en moins d'une heure, je passais les portes de la capitale pour battre la campagne, et espérer tomber sur l'une de ces fameuses créatures contre lesquelles on nous demandait la plus grande des prudences.

Je n'avais pas la moindre idée de par où commencer, alors c'est purement au hasard que je me dirigeais à l'ouest. Après plusieurs heures de marche sous un soleil cuisant, je me gratifiais d'une belle pause au pied d'un arbre fruitier. Je m'installais à même l'herbe douce et allumais une cigarette, recrachant de grands volutes de fumée.

Après plusieurs jours de présence dans la forêt d’Istralis à chasser des Dravens, Eleanor était revenue dans la capitale, elle avait rencontré des marchands sur la route, ce qui lui avait permis de transporter tous les bois de hêtre qu’elle avait coupé. Ce bois pourra lui servir à fabriquer des armes pour ses nombreux clients mais aussi pour chauffer sa forge durant l’hiver.

Habituellement la capitale était déserte, elle fut étonnée de voir autant de monde réuni tout autour des panneaux d’affichage, qu’avaient-ils de si important à annoncer ? Peut-être pour annoncer le mariage de l’un des enfants du Roi ou autre évènement de la plus haute importance.

La jeune forgeronne eu beaucoup de mal à se frayer un chemin parmi les badauds, ils étaient tous agglutinés comme des mouches devant les panneaux, elle n’hésita à en pousser plus d’eux pour lui permettre de lire ce qu’il y était inscrit.

Enfin, quand elle était parvenue à lire les inscriptions, elle ne pu s’empêcher d’être enthousiaste et à la fois angoissée. Elle seule, ne pourrait vaincre une telle créature, elle a déjà eu bien du mal face à certains monstres, les créatures Fléau et les Dravens en sont qu’un exemple.

Allez Eleanor sois courageuse, tu es capable de vaincre ce monstre, le cerbère n’est qu’un obstacle en plus

Malgré sa conviction, elle n’était pas plus sûre d’elle que cela. Elle tentait de s’en convaincre. Après quelques minutes à lire la panneau pour bien comprendre ce qu’ils voulaient, elle s’était mise en route jusqu’aux portes de la capitale. Après tout, elle avait que très peu d’attache, peut-être que c’était la dernière fois qu’elle voyait cette ville.

Après avoir franchi les porte, elle ne marchait pas rapidement, comme si au fond d’elle, elle pensait qu’elle vivait ses dernières heures, elle tentait de penser à des choses plus joyeuses mais n’y parvenait pas. Comme à son habitude, elle suivait les chemins balisés par des panneaux. Elle ne pouvait se tromper, sur la pancarte, il avait bien été mentionné que les cerbères se trouvaient à l’ouest.

Parcourant les contrées depuis plusieurs heures Eleanor était enfin arrivée près d’une zone qui lui semblait être l’endroit idéal pour les cerbères, l’endroit était fort aride, il y avait quelques arbres mais il n’y avait plus de feuilles, comme s'ils étaient tous morts. Puis au fur et à mesure qu’elle avançait, elle avait aperçu au loin, un jeune homme en train de fumer une cigarette et au plus elle se rapprochait, au plus elle reconnaissait cette silhouette familière, c’était Iain..

Elle se frottait les yeux, non ce n’est pas vrai, ce n’est pas lui ! C’est ce beau parleur, mais malgré qu’elle l’énervait, elle était étrangement attirée par cet homme.

“Bonjour Iain  ! ça alors, quel hasard ! Toi aussi tu es là pour chasser des cerbères ? Crois-tu qu’ils vont venir à toi ? Ce n’est pas en restant assis sous un arbre que tu risques d’en trouver !”

Eleanor n’avait pas mâché ses mots, elle savait qu’il fallait rester ferme avec ce genre d'individu, mais elle regretta aussitôt ce qu’elle venait de dire, il l’avait pourtant aidée à combattre le Draven et même à la soigner lorsqu’il lui avait lacéré sa jambe.

Mélaskholès se baladait sur l'avenue, le coeur ouvert à l'inconnu. Curieusement, comme déterminé par une force supérieure, il avait envie de dire bonjour à n'importe qui. Il ne fallait pas contrarier de telles pulsions. L'acolyte ne manquait donc pas de les satisfaire à la moindre opportunité se présentant. Lorsqu'il croisait justement un inconnu, et les inconnus étaient vraiment nombreux à la capitale, il les saluait d'un air enjoué. Il lançait « Bonjour ! » lorsqu'il ne se contentait pas de secouer la main dans leur direction. Mais que cela pouvait être fatiguant ! D'autant plus que peu d'honnêtes personnes ne daignaient lui répondre. Il finit tout simplement par suivre la foule qui, comme le faisaient les insectes, se dirigeait vers une même direction.

Emporté par la foule qui l'entraînait, le entraînait et écrasés les uns contre les autres, on aurait dit qu'ils formaient tous qu'un seul corps. Du moins c'est l'impression quel l'acolyte avait. Il finit par se détacher jugeant qu'il avait déjà du mal à se gérer lui-même. Il soupira d'aise lorsqu'il se retrouva à l'ombre d'une ruelle. Dans cette ruelle se trouvait un marchand qui vendait des douceurs sucrées. Mélaskholès décida de se laisser tenter. Ses pièces d'or ne lui servaient qu'à payer des chambres miteuses. Pour une fois, il avait envie de se faire plaisir.

« Je vous prends 3 pièces d'or de friandises ! » Lança-t-il. Le marchand saisit un sachet et fourra à l'intérieur beaucoup de sucreries. Celui-ci amassa les pièces et déposa le paquet comme s'il craignait que Mélaskholès ne change d'avis. Mais il n'avait en réalité aucune raison de penser une telle chose. Le jeune homme saisit ce qui lui revenait et fut interpelé avant de reprendre la route.

« Vous avez vu cette missive mon brave ? » demanda le marchand. « Vous m'avez l'air sympathique, ne vous aventurez pas trop loin y a de méchantes bestioles qui m'ont pas l'air sympathiques et qui brulent les inconscients et vous m'avez l'air de l'être !
- Vraiment ? » Mélaskholès porta la main au coeur, jouant les effarouchés. « Merci à vous, j'en prends bonne note. Enfin, je me contenterai de m'en souvenir car je n'ai pas de quoi noter ! » Heureusement qu'il existait d'honnêtes personnes telles que lui. Cela était même assez exceptionnel en réalité.

Sur ces mots, Mélaskholès s'en alla, prenant la route vers ces curieuses créatures. Il ne savait pas où les trouver mais à croire la missive évoquée par le marchand, ce ne serait pas difficile. Qui plus est, il y avait beaucoup de novices qui semblaient croire qu'ils pouvaient en débarrasser le royaume à l'aide de leurs fourches et pelles. Ils avaient formé des petits groupes déterminés par leur enthousiasme débordant. Ils se voyaient déjà devenir des héros. Mélaskholès n'était pas dupe, lui. Ils n'y parviendraient jamais. Ils risquaient seulement, au mieux de perdre un membre et au pire d'y perdre la vie. Quant à Mélaskholès, lui ne voulait pas les combattre et n'avait pas la moindre prétention. Sa seule curiosité le poussait à simplement aller jeter un coup d'oeil de rien du tout.

Il finit par rattraper l'un de ces groupes d'aventuriers en herbe, bien décidé à leur épargner bien des misères. Lui-même commençait à connaître ce vaste monde loin de la capitale, dangereux et parfois sanglant. Il n'était ni bon, ni bien de les laisser aller à l'abattoir.

« Vous n'avez pas entendu ? » Demanda-t-il pour les interpeler. Voyant que tous lui lançait un regard perplexe, il poursuivit. « Le problème est réglé, il a plu et les créatures sont parties en fumée ! » Il accompagna ses explications d'un geste qui suggérait de la fumée. Sans le surprendre, la supercherie fonctionna parfaitement. Mélaskholès n'en avait jamais douté un seul instant.
Il réitéra ses explications à chaque groupe qu'il croisait. Et à chaque fois, les novices repartaient. Leurs rêves et leurs espoirs étaient les seules choses qui partaient véritablement en fumée. Mais au moins, ils étaient en vie et c'est la seule chose qui préoccupait véritablement l'acolyte.

Il finit par cheminer seul. Il avait de toute évidence réussi sa mission qu'il s'était lui-même donnée. Il poursuivit donc sa route, à la recherche d'une fumée. Non pas parce qu'il croyait lui-même à ses mensonges, mais parce qu'une créature qui brulait par le feu laissait probablement des traces. Après une longue marche, il aperçut des silhouettes se dessiner à l'horizon. Encore des inconscients, comme l'avait prédit le marchand, qui voulaient combattre avec une fourche. Plus il approchait et plus il commençait à croire qu'il avait trouvé les épouvantables créatures dont tout le monde parlait à la capitale. Il fronça même le nez pour mieux voir. Il n'y avait plus aucun doute à avoir. Il voyait l'une des silhouettes dégager de la fumée. Il avait enfin trouvé ce qu'il recherchait.

S'approchant à pas feutrés, il ne voulait pas être aperçu. Ces créatures étaient apparemment terribles et il ne voulait pas se mettre à fumer lui-aussi. Mais plus il se rapprochait, plus il lui semblait reconnaître l'autre silhouette. Mais oui ! Il ne se trompait pas, il s'agissait bien de la jeune femme aux talents exceptionnels au lancer d'épées. Il accourut dans sa direction, bien décidé à la sauver des mains de cette créature dégageant de la fumée épouvantable.

« Eleanor ! ELEANOR ! J'arrive ! » Il courut comme un beau diable, espérant ne pas arriver trop tard. Ce serait un drame si la jeune femme venait à trépasser. Le monde perdrait un talent qui se faisait de plus en plus rare.
Lorsqu'il arriva à leur hauteur il s'interposa, bras écartés. « Vile créature fumante, recule ! »