Les deux semaines qui venaient de s'écouler parurent longues à Mashoga. Son impatience était telle qu'il avait davantage consacré de temps à tourner en rond plutôt qu'à rentabiliser ces jours à se préparer véritablement. Bien évidemment, suivant les conseils d'Anay, il s'était rendu en boutique voir ce qu'il pouvait acquérir. La réponse fut simple. Il ne pouvait absolument rien s'offrir. C'était peu ordinaire, car depuis bien des années maintenant il avait pour habitude de vivre loin du besoin. Cette situation lui rappelait son insouciante jeunesse où rien n'était encore acquis.

Très sérieusement, il nota dans un petit carnet ce dont il avait besoin pour finalement faire appel à des artisans. Il avait entendu dire que ces services ne coûtaient rien. C'était un bon début. Mais sitôt sa liste faite, il trépignait dans sa misérable chambre n'ayant pour occupation qu'un livre ancien. Il le lut à maintes reprises, appréciant de découvrir des légendes que sa mère ne lui avait jamais lues. La seule histoire qu'il connaissait était celle de sa cité lorsqu'elle comptait parmi les plus belles merveilles. Il finit par se retrouver dans un état d'esprit proche de la nostalgie. Il finit par se chausser et marcher dans les rues. Peut-être espérait-il y faire des rencontres. Toujours est-il que cela ne se produisit pas. Cela ne fit que confirmer que sa rencontre avec la jeune mercenaire était un don de l'arbre sacré.

Finalement, les quatorze jours passèrent. Si ses préparatifs n'avaient pas été des plus sérieux, il avait tout de même pris soin de se renseigner sur la guilde qu'elle avait mentionné. Ainsi, lorsque le jour fut venu il savait où se rendre pour lui adresser un mot. Celui-ci disait :

Equipé de sa seule épée en bois, l'homme aux yeux vairons se sentait malgré tout plein de ressources. Il ne prenait pas à la légère les précieux conseils de la mercenaire, comme il le lui avait rappelé. Cependant, pour une raison qui lui échappait, il n'avait aucune appréhension. Cela n'était pourtant pas dans ses habitudes, se sentir ainsi alors qu'il n'avait aucunement la situation en main. S'il y avait bien une chose qu'il n'appréciait pas, c'était bien de ne pas savoir ce qu'il attendait et ne pas être maître de la situation. Et malgré ça, tel un enfant il attendait avec impatience.

Sous le soleil de plomb, il patienta à l'ombre d'un mur. Il portait un long châle lui couvrant les épaules et qui retombait dans le creux de ses bras. Sans l'ombre d'un doute qu'elle le reconnaîtrait.

Des deux semaines de délai qu'elle avait imposé, en quelque sorte, à Mashoga, Anay ne les passa pas exactement comme prévu. Alors qu'elle lui avait dit rester dans la capitale tout du long, en réalité, elle s'était absentée une belle semaine, en escapade avec son mentor dans la forêt du grand noyé. Un terrible constat lui avait été renseigné, mais au moins, de cette rencontre, ils avaient pu enterrer la hache de guerre et retrouver une relation maître-élève saine. Mieux encore, il lui avait appris les bases d'une nouvelle technique qui pourrait lui être très utile, à elle comme à ses alliés dans les donjons à venir. Ce serait un apprentissage long, elle le savait, mais elle n'avait pas eu beaucoup de temps à lui accorder : elle avait donné sa parole à Mashoga, et elle était assez femme d'honneur pour tenir sa promesse, et s'était remise en route pour arriver dans les temps à Arswalt.

Quand elle retourna à la cité, nous étions à la veille du quatorzième jour et sans passer par le quartier général de la guilde, elle avait filé dans sa chambre et s'était préparée avec assiduité. Elle avait pris un bain pour ôter la crasse et l'humidité qu'elle avait accumulée durant son séjour dans la forêt avec Hecktor, et avait fait demander à ce qu'on nettoie ses vêtements. Bien entendu, ils ne seraient jamais prêts et propres pour le lendemain, mais il lui restait encore tout un stock de jolies soieries à porter. Rien de très élégant, après tout elle était mercenaire, mais toutefois ils se devaient d'être confortables et permettre une grande aisance de mobilité. Après s'être assurée que ses affaires étaient fin prêtes, elle profita de sa seule nuit en ville pour jouir de tout le confort d'un bon lit bien moelleux avant de repartir sur les routes en compagnie du petit poussin Élu.

Le lendemain, le petit déjeuner fut vite avalé. Rien de trop copieux, rien de trop léger pour autant. Malgré tout contente de démarrer une nouvelle aventure avec un nouveau visage, elle trimballa ses affaires dans les ruelles d'Arswalt jusqu'au bâtiment de la guilde où elle déposa le tout au pied du panneau des missives sans le moindre ménagement. Mains sur les hanches, elle observa longuement et avec attention toutes les notes punaisées, lisant avec soin tous les noms inscrits. Consciencieusement, elle retira les quelques papiers à son attention - une publicité et une lettre d'un soi disant admirateur secret alors qu'elle savait très bien qu'il s'agissait encore de l'ami ménestrel d'Uthred - et les réduisit en boule avant de les jeter dans une corbeille. Enfin, elle capta le mot que Mashoga avait laissé pour elle, lui donnant rendez-vous aux portes de la ville.

Rebroussant chemin, elle prit la direction de la sortie sud d'Arswalt, ne s'arrêtant que pour s'acheter quelques vivres : elle ignorait où ils se rendraient, mais dans tous les cas, elle avait prévu ses collets, par mesure de précaution. Quelques pommes, de la viande séchée et un quignon de pain plus tard, elle reprit sa route, ne se préoccupant pas un seul instant de savoir si elle faisait attendre longuement le poussin, ou pas. Une aventure se préparait avec soin, et son sens du détail pouvait faire la différence en cas de survie. Passant devant la boutique d'un tailleur, elle craqua devant une splendide fourrure à capuche et se délesta de nombreux pièces d'or pour en faire l'acquisition. Si jamais ils s'aventuraient dans les montagnes célestes, les nuits fraîches allaient la mettre à rude épreuve. Tss, de qui elle se moquait ? Il pouvait faire des températures glaciales comme douce, ce manteau était trop magnifique pour passer à côté !! Quelle allure elle avait, se félicita-t-elle en l'essayant et en s'admirant devant une vitrine où elle pouvait mirer son reflet.

Il devait probablement être midi passé quand elle arriva enfin au lieu de rendez-vous. Sa bourse était quasiment vide, mais sa bonne humeur atteignait des sommets. Rien n'était plus revigorant qu'une bonne séance de commerce !
Quand elle sortit de l'enceinte d'Arswalt, elle repéra rapidement Mashoga, appuyé contre le mur, à l'ombre. Dans une insouciance éhontée, Anay s'avança gaiement.

« Bien le bonjour, cher Mashoga ! Quelle belle journée, n'est-ce pas ? », le saluta-t-elle avec entrain. « Alors dis-moi, où allons-nous ? »

Il y a peu, Mashoga vivait dans une grande demeure où les gens qui l'habitaient mangeaient à cette heure-ci. Bien qu'i ne faisait plus partie de ceux-là, il sortit malgré tout un fruit de sa poche. Il s'agissait d'une pomme sur laquelle il souffla. Enfin, il croqua dedans et se délecta de son jus lui procurant dès lors le plus grand bien. En effet, le soleil était généreux en ce jour et procurait à tous les habitants de cette cité une agréable chaleur.

Jetant son trognon dans la poubelle la plus proche, il aperçut au loin une forte silhouette. Il remarqua tout de suite la fourrure apparente et pensa aussitôt à un ours. Bien-sûr, il savait que ce n'était qu'une idée idiote car comment un tel animal pourrait-il arpenter ainsi les rues ? Le vent se voulait farceur, car il faisait remuer les poils, rendant l'illusion d'autant plus trompeuse. Remarquant sa curieuse démarche, il n'eut pas le moindre doute. Jamais un ours ne marcherait ainsi !

Avec stupeur il reconnut Anay. Il retourna aussitôt à l'ombre du mur où il était peu de temps auparavant. Il ne voulait pas l'offenser à la dévisager ainsi. C'était une femme d'honneur, qui de toute évidence honorait ses promesses. Cela ne l'étonna même pas, car l'honneur semblait émaner de sa personne. Elle arriva enfin jusqu'à lui de sa drôle de démarche et le salua. Elle semblait de bonne humeur et cela faisait plaisir à voir. En plus d'être rassurante, sa compagnie allait être plaisante. Mashoga sourit à son tour d'une manière tout aussi vivace.

« Bonjour à vous Anay, dit-il en inclinant la tête de manière presque imperceptible. Le soleil semble vouloir nous accompagner, il est resplendissant ! C'est effectivement une journée sans pareille pour voyager en votre compagnie. »

Il inclina de nouveau la tête, cette fois-ci de manière plus prononcée. C'était sa façon de témoigner sa reconnaissance et tout le respect qu'il portait à la mercenaire. Il ajouta ensuite.

« Si vous l'acceptez, je vous propose une traversée de la charmante, à n'en pas douter, campagne arswaltienne sans toutefois nous y arrêter. J'ai suivi vos précieux conseils et me suis informé de ressources pouvant m'être utiles. » Il fit mine de réfléchir alors qu'il se souvenait très bien. « Il s'agit, si mes souvenirs ne me trompent pas de dents dorées ainsi que des yeux jaunes. »

Maintenant que la jeune femme était proche de lui, il eut le loisir de considérer la fourrure qu'elle portait. Il était intrigué, car elle ne la portait pas lors de leur première et récente rencontre. Son regard connaisseur en admira la qualité. Une chose l'intriguait véritablement. Pourquoi portait-elle un tel habit ? Anay ne semblait pas être une femme comme les autres. La plupart des femmes (et des hommes aussi) qu'il connaissait faisaient de leur accoutrement une priorité. A moins qu'il eût commis une erreur de jugement, il considérait Anay autrement. Peut-être se prémunissait-elle du froid à venir, tout simplement. La patience lui apporterait une réponse dans un avenir assez proche. Dans tous les cas, il trouvait cette fourrure magnifique. D'ailleurs, il le lui fit savoir.

« Votre fourrure est sublime Anay. N'y voyait pas d'insulte, mais j'en suis surpris car vous dégagez une telle force... » Il se gratta le menton du bout des doigts, pensif. Il avait habillé bien des femmes par le passé et son oeil expert suscitait toujours de l'attention. L'habitude peut-être l'incita à poursuivre son expertise la plus sincère. « Vous la portez à ravir bien que ce soit, d'une certaine façon du gâchis, car il pourrait être fait au moins deux fourrures pour un gabarit comme le mien avec celle que vous portez ! C'est que votre carrure est celle d'une guerrière, vos épaules sont larges et hautes. » Dit-il d'un ton nullement offensant.

Avec une politesse et une élégance qu'Anay estimait très distinguées, Mashoga la salua, inclinant de la tête très respectueusement. La mercenaire n'avait pas vraiment prêté attention à ses manières lorsqu'ils se furent rencontrés dans la taverne où il avait offert une tournée générale, mais maintenant, cela lui sautait au yeux. Le jeune garçon, quoi que bénéficiant de traits très affinés, était tout propret sur lui. Assurément, en plus de son comportement, son choix vestimentaire était très cohérent, et il vint à l'esprit de la demoiselle que Mashoga était peut-être de haute naissance. Pourquoi pas, après tout ? Les voix de l'Arbre de Vie étaient impénétrables, disait-on. Elle-même, bien qu'élevée par des fermiers, était à l'origine fille de noble. Alors, que la lumière purificatrice ait touché d'autres bourgeois n'était pas étonnant. Puis, dans une verve aussi poétique qu'alambiquée pour elle, il lui fit comprendre à demi-mot avoir besoin de se rendre dans la forêt d'Istralis. Des dents dorées et des yeux jaunes, dit-il. Merveilleux. Elle avait une revanche à prendre sur les dravens de la dernière fois, et même si elle les redoutait, il y avait bien longtemps qu'elle n'avait plus tâté de l'impérial.

Elle allait acquiescer et se réjouir de retrouver une fois de plus l'atmosphère si paisible de sa chère forêt, quand Mashoga avait poursuivit, dans un langage châtié. Décidément, rien ne lui enlèverait l'idée qu'il avait reçu une éducation très poussée. Ses tournures de phrases la perdirent, et elle n'était pas vraiment sûre d'avoir compris ce qu'il était en train de lui dire. Tantôt, elle était persuadée qu'il l'offensait en la prenant pour une gigantesque barbare taillée comme un roc, tantôt elle se persuadait du contraire, certaine que jamais il ne débuterait une conversation en l'insultant. Elle devait se faire des idées.
Dans tous les cas, elle estima ne pas avoir à répondre à cela - se préservant ainsi de toute erreur d'interprétation, et préféra mettre les choses au clair directement.

« Petit, tu es bien mignon mais tu es beaucoup trop pédant », lança-t-elle en déposant sur son épaule une main bienveillante, « Il n'y a personne à impressionner, tu sais. Alors, si tu as quelque chose à dire, dis-le sans détour ! Les gabarits comme le mien ont besoin de simplicité », ajouta-t-elle dans un clin d'œil entendu.

Maintenant la chose dite, elle s'étira le dos, profitant des rayons du soleil et comprit rapidement que sa fourrure serait de trop. L'ôtant, elle l'attacha à son bouclier calé dans son dos, puis porta une main au pommeau de son épée.

« Bien ! En route pour Istralis, dans ce cas, s'il te faut des dents dorées et des yeux jaunes. C'est le meilleur endroit pour y trouver ce que tu cherches : des impériaux et des dravens. »

Sans doute aurait-elle du lui demander par quel moyen de locomotion il souhaitait s'y rendre, mais comme d'accoutumée, elle démarra sa marche en direction de l'Est. Louer un cheval à un bailleur, très peu pour elle - elle s'était suffisamment ridiculisée comme ça en présence d'Uthred - et profiter d'un convoi de marchands ne lui plaisait guère : c'était encore une fois une dépense bien inutile quand on avait une paire de jambes et tout le temps du monde devant soi.

« On y va ? » demanda-t-elle après avoir fait quelques pas, jetant sa tête en arrière pour s'adresser à lui et s'assurer qu'il lui emboitait le pas. « Il y en a pour quelques jours de marches, je ne te le cache pas. Mais cela nous permettra de faire plus ample connaissance, pas vrai ? Par exemple : d'où tu nous viens ? »

Remarque: