Quelque part dans une grange, par une nuit étoilée et paisible, naquit entre un âne et un boeuf celui qui se fit connaître comme le Sauveur.

Ce bambin angélique n’était pas moi.

Non, je naquis plutôt dans une petite chaumière au sein d’un village oublié de la campagne hivryssienne, J’étais un beau bébé bien dodu qui, à peine sorti du ventre de sa mère, manqua de se tuer en gigotant un peu trop jusqu’à ce que son père manque de l’échapper. La panique dans la petite maisonnée, je ne vous dis pas... D’après mes aînés et les autres habitants du village, il y aurait eu une engueulade légendaire à cause de ça, pendant que moi, ignorant et nouveau-né, je rigolais entre deux crises. Mais bon, cette histoire varie selon à qui on la demande, mais j’aime bien la version qui dit que maman avait attrapé un pot pour frapper mon vieux, lui faisant perdre tous les poils qu’il avait sur le crâne. Et j’adore la raconter à quiconque le demande!

Je ne me rappelle pas trop de mes jeunes années, mais je sais que, très jeune, j’ai dû apprendre à me débrouiller et me défendre. Peut-être vers sept ou huit ans, quelque chose comme ça, mon paternel me mit une hache dans les mains et me dit de le suivre pour aller couper du bois dans le boisé avoisinant pendant que mon frère, Tristan, et ma soeur, Nylea, iraient chasser. Malhabile et faiblard, ça prit quelques jours avant que je n’arrive à faire tomber mon premier bout de bois, un petit érable d’à peine deux mètre de haut. Mais la fierté que j’avais éprouvé à ce moment restera probablement dans ma mémoire jusqu’à ma mort. C’était un exploit, pour moi. Comme mon père avant moi, je venais de réussir à faire tomber un arbre gigantesque! Enfin, pas vraiment, mais aux yeux d’un gamin, deux mètres, c’est énorme!

Depuis, tous les jours, je fus tâché de ramener du bois pour la maison. Par chance quelques amis du village étaient là également, alors je ne me sentais pas trop seul. Et plus souvent qu’autrement, je me fis gronder parce que je paressais plutôt que de faire ce que j’avais à faire. Je faisais des farces, je m’amusais à tailler le bois en d’étranges formes, le rendant inutilisable sauf pour être brûlé...  Oups?

Plus d’une fois notre patelin se fit attaquer par des monstres ou des bandits, qui voyaient notre isolement de la capitale mondaine comme une occasion en or pour faire un peu de pillage, entre autres. Et si parfois ils y arrivaient, il y avait également des jours où ils nous sous-estimaient. Après tout, qu’y a-t-il à craindre de quelques fermiers, hmm? Des fourches, des haches, des marteaux et beaucoup d’ingénuité, voilà ce qu’ils auraient dû craindre. Certes, peu d’entre nous, pour ne pas dire personne, avaient une formation quelle qu’elle soit. Nous improvisions, prenant les moyens du bord pour défendre ceux et elles nous étant chers comme on le pouvait.

Beaucoup de gens mourraient, pendant ces raids. Je perdis mon frère quand je n’avais que douze ans, et papa tomba la veille de mon seizième anniversaire. Il ne restait donc que Maman, Nylea et moi. Ce fut difficile, mais nous survivîmes de notre mieux. Je pris la responsabilité d’homme de la maison sur mes larges épaules, et je n’eus d’autres choix que de redoubler d’efforts pour combler le manque à la maison. Après tout, c’était une loi non-écrite parmi les villageois, qu’il fallait savoir se débrouiller par nous-mêmes. S’il n’y avait pas d’hostilités entre nous, tous et chacun priorisaient sa famille avant celle des autres.

Pourtant, ça n’empêcha pas un groupe d’amis et moi-même de faire notre possible pour la sécurité de tous. Une petite bande de soi-disant protecteurs, que nous étions. “Les Affreux”, qu’on nous appelait. Quand du grabuge se faisait sentir, nous y allions au pas de course, nos outils en mains et prêts à en découdre. Et après la sale besogne, nous allions à notre campement de fortune au milieu du boisé pour partager quelques chopes et se bagarrer à savoir qui avait été le ou la plus spectaculaire. Une fois, on a rit de moi parce que je m'étais fait sauter dessus par un fauve. Il avait planté ses griffes dans mon dos, et, même mort, refusait de me lâcher. Les blagues comme quoi j’aurais cherché une cape pour poser ma supériorité, qu’ils disaient. Et moi, bon joueur, je rigolai avec eux, allant jusqu’à faire tanner la peau de la bête. Ah, les bons souvenirs...

Aujourd’hui, ça fait cinq ans que j’ai quitté tout ça. Quand Maman nous quitta, Nylea et moi avions plié bagage, et avions abandonné ce village sans nom pour tenter de trouver une nouvelle vie plus au nord, loin des assauts incessants. C’est à Arswalt que nos chemins se séparèrent, mais nous nous fîmes la promesse de se retrouver au moins une fois par saison. Si je m’attendais, cependant, à ce que la destinée ait d’autres projets pour moi...