La vue depuis ma chambre dans la maison de la guilde de l'Union était tout simplement magnifique, donnant sur toute la cité d'Arswalt, mais également sur tout Naggaroth ou presque. Avant de me prendre au jeu et, pour citer Rufus, avant d'embrasser ma destinée d'Élu, il aurait été bien possible que je me serve de la maison de guilde comme d'un piège à fille. Mais deux raisons au fait que cela ne m'avait même pas traversé l'esprit. La première était que j'avais ce foutu gosse dans les pattes, qui dormait dans cette même chambre quand il ne travaillait pas pour l'Union, en accomplissant quelques basses besognes à sa portée. Et la seconde était que je n'avais plus touché la moindre fille depuis des lustres. Non, tu lis bien, Lecteur de mes Mémoires. Je m'étais assagi. Je restais évidemment un homme attiré par les courbes enchanteresses d'une jolie donzelle quand j'en croisais une, mais j'étais sensiblement plus riche quand je ne passais pas mes soirées à la taverne et mes nuits dans les bordels. Pour être honnête, coucher avec toutes ces filles ne m'avaient jamais rien apporter. Je veux dire, oui, la satisfaction et l'apaisement de mon désir, mais je cherchais auprès de ces femmes ce qui me manquait cruellement. Ce petit quelque chose, je m'en étais davantage approché en m'associant et en me livrant un peu à mes camarades de l'Union. En faisant partie de cette famille. Je ne savais pas ce que cette aventure allait donner, ni si je me rapprochais véritablement de mon but, mais j'avais envie de le découvrir, envie de voir jusqu'à quel point je pouvais compter aux yeux de ces gens.

Je réfléchissais alors à tout ce chemin que j'avais déjà parcouru depuis que j'avais passé la porte d'Arswalt, cigarette au bec, penché sur le rebord de ma fenêtre, à contempler l'horizon obscur; quand on tambourina à mes portes avant de l'ouvrir à la volée sans attendre la moindre réponse de ma part.

« Hey, Iain ! Je ne suis pas une messagère, d'accord ?! Ton courrier, la prochaine fois, fais attention où tu le mets ! » me cria Anay en brandissant une enveloppe de papier scellé.

Dubitatif et me retournant lentement vers elle, je crachais la fumée que j'avais inhalée tout en levant vers elle un regard interrogateur.

« Plait-il ? »

Secouant de nouveau l'enveloppe, elle insista.

« C'était dans l'entrée. Dans MON paquet de lettres, adressées à MON nom. Rassure-toi, je ne l'ai pas ouverte, cela t'est de toutes façons adressé. Mais quand même. Fais attention. »

Je tirais une dernière fois sur la roulée que je jetais ensuite par la fenêtre avant de me saisir du courrier, intrigué. Recevoir une lettre à mon nom directement à la maison de guilde et non au quartier général, c'était une première.

« Je n'étais pas au courant de son existence. J'suis désolé si ça t'a incommodée ... », lançais-je distraitement, bien plus concentré sur le sceau qui ne résista pas bien longtemps à la force que je lui appliquais pour le briser.

« Oh, euh ... non, non. Pas vraiment incommodée, non. C'est juste que ... non, je ne sais pas pourquoi j'ai réagis ainsi », avait-elle bredouillé avant de m'adresser rapidement quelques vagues mots d'excuses et de me laisser de nouveau à ma solitude.

L'écriture était un peu brouillonne, les mots étaient courts, presqu'écrits dans la précipitation. Cela ne fit qu'accentuer ma curiosité pourtant déjà titillée. Une seule phrase était apposée sur le papier.

Iain, vous avez le devoir de vous rendre à Subroc dans les plus brefs délais. Vous trouverez un cheval à la milice de la capitale, celui-ci connait la route,

Sylvain, maître sorcier.

Je me laissais tomber sur la chaise à côté du lit. Mais ils étaient combien, au juste, à savoir exactement où je me trouvais ? Non parce que, pour ce que j'en savais, j'étais un putain de fugitif ! Avec une horde de chasseurs de primes à mes basques ! Cela n'avait pas empêché Lucia de me contacter facilement avec le concours des deux traitres. Et maintenant ça ? Un maître sorcier qui, apparemment, était à l'autre bout du pays, savait où j'habitais ? Mais au bout d'un temps, les chasseurs de primes étaient vraiment à ma recherche, ou c'était les plus débiles de Naggaroth ?
D'une main dépitée, je repoussais en arrière les mèches de cheveux qui me pendaient devant les yeux, un sourire amusé aux lèvres. J'étais un putain de chanceux ...

Mais je retrouvais vite mon sérieux. J'avais le devoir de me rendre à Subroc où j'allais rencontrer un maître sorcier, hein ? Et tout semblait avoir été préparé pour me faciliter la route. Un cheval m'attendait à la milice d'Arswalt. Est-ce que ça avait un rapport avec ces sortilèges complexes de sorcier que je tentais d'apprendre en ce moment ? Les maîtres initiateurs l'avaient su ? Comment ?!
Subroc. Si je m'y rendais, c'était définitivement le lieu le plus loin de chez moi où je serais allé. Anay m'avait déjà parlé que son mentor y allait régulièrement, c'était là où les Élus les plus aguerris boutaient les créatures du Fléau les plus dangereuses. Si j'étais invité par l'un d'entre eux, j'imaginais que c'était un grand honneur. Et j'imaginais même plus, refuser serait un affront. Un devoir, avait-il dit, ce Sylvain. Je ne pouvais de toutes façons pas y déroger. Fallait-il que j'en parle à l'Union ? Aux membres de la guilde ? Que je me fasse accompagner ? Après tout, c'était une longue route ...

Je relus la missive, et tourna le recto. Rien n'indiquait que je devais y aller seul. Mais qui allait bien pouvoir faire route avec moi ? Anay était présente, oui, mais elle avait semblé elle-même revenir d'un long périple au vu de son état, je n'allais pas lui proposer un aussi long voyage sans qu'elle n'ait eu le temps de se reposer. Arthur ? Allez savoir où il trainait ses jours-ci. Sans doute dans un coin reculé à entrainer son corps. Jolis Yeux ? Hm. S'il venait à lui arriver quelque chose, je ne me le pardonnerais jamais. Eleanor ? Brrr. Nos relations étaient trop étranges pour que je la supporte plusieurs jours voir semaines. J'imaginais que ce serait un voyage entre moi et Cureuil.

Au lendemain de la lecture de cet ordre, je m'assurais que Rowan serait sous bonne surveillance de quelqu'un de l'Union et laissais une petite note explicative à Jolis Yeux pour qu'on ne vienne pas à s'inquiéter de mon absence qui allait probablement se faire longue. Après tout, allez savoir ce qui m'attendait là-bas.
Je trouvais assez rapidement le fameux cheval qui avait été apprêté pour mon usage personnage, mais j'eus beau soudoyer les gardes en présence de quelques pièces d'or, je ne pus obtenir davantage de renseignements ce qui m'attendait, malheureusement.
Quelques coups d'éperons, et j'étais sur la route de Subroc. Tantôt je dormais dans la nature, tantôt je m'arrêtais dans des petits villages parfois si petits que je me contentais d'une étable ou d'une grange. En une journée j'avais passé le mur, et j'étais arrivé à hauteur du lac Vivan. Quelques jours de plus me furent nécessaires pour passer par le côté Est, et ainsi arriver dans les montagnes écorchées. L'ambiance générale était tout de suite beaucoup plus sinistre, et je ne comprenais pas comment des gens - des bandits essentiellement - pouvaient survivre dans ces pics escarpés. Et encore moins pourquoi Alarick avait absolument tenu à venir ici pour saluer ses parents. Les avait-il trouvés, d'ailleurs ? Depuis le temps, je l'espérais bien pour lui.

Le soleil était couché quand je vis les hautes tourelles du château de Subroc dans la lumière pâle du disque d'argent. Je mis pied à terre et saisis les rênes pour guider ma monture jusqu'à l'entrée principale du domaine. Là, je l'harnachais à un piquet avant de gravir les escaliers de l'entrée. Un premier grand hall m'accueillit, bien mal éclairé mais au plafond gigantesque.

« Euuh il y a quelqu'un ?! » hurlais-je dans le vide, uniquement pour entendre l'écho de ma propre voix me répondre « Un certain Sylvain m'a fait venir ici ... Hello ?! Je me nomme Iain ! Je suis un Élu de l'Arbre de vie ! Ohéé !! » continuai-je en investiguant les lieux.

Tout à coup, je vis apparaître un personnage encapuchonnée, long et haut bâton en main qu'il fit résonner contre le carrelage du sol pour manifester sa présence qui me semblait déjà impressionnante. A ses traits durcis par l'obscurité, il ne faisait aucun doute qu'il était le genre d'Élu qui en avait bavé, et avec qui il ne fallait pas plaisanter. Il s'annonça à moi, et laissa entendre, si je comprenais bien, que lui, ou quelqu'un d'autre, avait détecté ma magie à l'autre bout du pays. Était-ce seulement une chose possible ?! Était-ce seulement possible d'être expérimenté et puissant à ce point ?!
Je fus si impressionné par sa prestance que je ne pipais mot, et le regardait passer à mes côtés, me dépasser et aller détacher le cheval qui m'avait amené ici. D'un simple contact, la bête comprit ce qu'elle devait faire. Après quoi, je suivis ce Sylvain, qui me guida jusqu'à une salle où je pus me repaitre d'un bon repas. Pendant que je me sustentais, il alla droit au but et ne fit plus de mystère sur la raison pour laquelle j'étais ici. Alors ma puissance s'était éveillée ? Pour être parfaitement honnête, je n'avais rien remarqué. Sagement et studieusement, j'avais appris tout ce que j'avais pu dans les livres de Jade, et avait mis en application quelques sortilèges sur le champ de bataille, mais j'avais cru que leur efficacité croissante résultait de ma maîtrise toujours plus pointue, et non pas d'un réel éveil.
Alors, c'était pour ça qu'on m'avait fait venir ? Me faire évaluer ? Il y avait un côté absurde à tout ça. Ils avaient peur que pareille puissance ne soit contrôlée par de sinistres individus ? Pour laisser ces gens-là devenir des Élus dans ce cas ? Autant faire ce test dès le début, selon moi. Mais qu'importe.

J'acceptais bien volontiers ce vin, et l'écoutais toujours. Il me parla alors de collègues portés disparus, sans savoir si le Fléau était impliqué. Il me dit bonne nuit et disparut sans que je n'eus le temps de dire quoi que ce soit, ni même de poser davantage de questions. Je restais là, comme un idiot, la bouche pleine et le verre vide. Bonne nuit, mais où allais-je bien dormir ?
D'un coup d'œil circulaire, je redécouvrais la pièce et même si j'aurais juré qu'il n'y était pas avant, je remarquais une couche dans le fond, avec coussins. Je donnais un fruit sec, pioché dans un grand plat, à Cureuil, qui s'impatientait sur mon épaule, puis, je me dirigeais vers la fenêtre pour admirer la vue.
En quoi, par le Fléau, cet Élu expérimenté, ce maître en sorcellerie, escomptait m'évaluer en partant à la recherche de ses compagnons ? Et puis, par où allions-nous commencer ? Il n'avait rien dit là-dessus.

« J'imagine que nous en saurons davantage demain matin, pas vrai ? » demandais-je rhétoriquement à Cureuil tout en m'installant confortablement. « Pour l'heure, dormons. »

Comme par enchantement, et à l'exact moment où j'eus pris cette décision, les torches accrochées aux murs s'éteignirent pour me plonger dans les ténèbres. Mais c'était bien plus facile à dire qu'à faire, car je ne parvins pas à trouver le sommeil. Je resongeais à mes camarades de l'Union. Avais-je été le seul à être appelé de la sorte ? Pourtant, je ne pensais pas être plus puissant qu'eux, ni même plus expérimenté. Et puis, qu'allait-il voir durant cette évaluation ? Quels étaient ses critères ? Est-ce que ça voulait dire que si je passais son test, il allait m'apprendre une spécialisation ?!
Rhaa, j'en étais trop excité à cette idée pour m'endormir. Mais lorsqu'on me réveilla en sursaut, j'imaginais que j'avais fini par succomber.

- Il est temps, Iain, me lança Sylvain, appuyé sur son bâton, une main sur mon épaule.

A travers le tissu de ma veste qu'il touchait, je pouvais presque sentir toute son énergie prêtée de l'Arbre tant elle coulait à flot dans ses veines et tant elle faisait écho à la mienne. Je me relevais sans trainer et lui emboita le pas. Il avait raison, lorsque nous nous retrouvâmes à l'entrée du château, le même canasson qui m'avait amené ici m'attendait déjà, accompagné d'une superbe créature d'un noir profond, à la robe brillante et miroitante. Sylvain grimpa sur son dos à cru, tandis que je me hissais à nouveau péniblement sur la selle de mon cheval.

« Allez-vous me donner davantage d'informations, maître Élu ? Hier, vous m'avez quelque peu laissé sur ma faim. Où allons-nous ? »

- Dans un petit village plus au sud. C'est le dernier endroit où on les a vus avant de ne plus avoir la moindre nouvelle.

« Comment le savez-vous ? Je veux dire, très bien, vous avez des dons hors du commun, je peux le ressentir, mais quand même ... »

- Chaque groupe d'Élus vivant dans cette région reculée est tenu de nous tenir informé de l'état d'avancement de la mission qui leur a été assignée. La dernière fois que ce groupe en particulier nous a fait un compte-rendu, c'était il y a plus d'une semaine, et la missive avait été envoyée depuis ce village. Nous allons mener l'enquête, répondit-il en éperonnant son étalon d'un coup de talon.

« Et vous avez besoin de quelqu'un comme moi pour ça ? Je veux dire, vous n'avez pas de meilleur élément dans vos rangs ? » questionnais-je en l'imitant et en lançant l'équidé au trot.

Mais à cela, il ne répondit rien. Même, il ne fut pas vraiment bavard tout le reste du trajet, soit deux bonnes heures de galopades jusqu'à ce fameux village pittoresque. D'ailleurs, il ressemblait bien plus à un minuscule hameau qu'à un village, mais soit. Le sol était boueux, il devait avoir plu toute la matinée. Sylvain conduisit sa monture jusqu'à un établissement à l'enseigne explicite.

« Une taverne ?! Sérieusement ? » m'étonnais-je.

- Il faut bien recueillir des informations quelque part, répondit-il en descendant de monture. Et puis, c'est ton univers, non ?

Descendant de monture à mon tour, je le fusillais du regard. Mon univers, mon univers. Quoi, parce que j'avais longtemps écumé les tavernes, je savais tout de leur fonctionnement ? ..... Oui, bon. C'était vrai. Mais je n'aimais guère l'allusion !
Une main tendue vers la taverne, il m'invita à passer devant. Aussi, je poussais la porte et découvris le boui-boui dans lequel il allait nous falloir interroger le tenancier. Instinctivement, je me dirigeais vers le comptoir sans regarder si la salle était pleine à craquer ou non. Je fis également fi du bruit environnant, alors que c'était quand même le meilleur indicateur du monde qui m'entourait.

« Hola mon brave », entonnais-je en m'installant sur un tabouret, « mon ami et moi cherchons après un groupe d'Élus qui serait passé il y a une semaine. Peut-être ont-ils fait escale ici avant d'aller plus au sud ... »

Le tavernier me regarda d'un drôle d'œil, puis Sylvain qui ne pipait mot, me laissant entamer la conversation, puis haussa les épaules. J'en souris. S'il avait des informations, il n'allait pas les céder pour rien, c'était évident, et c'était surtout une manière de faire très répandue. Je fis alors glisser une pièce d'or sur le bois crasseux du comptoir.

« Dois-je répéter ma question, l'ami ? »

- Y'a tout un tas d'Élus qui vont et viennent par ici. Il n'y a que ça. Vous pourriez pas être plus précis ?

Je me tournais alors vers Sylvain.

« A quoi ils ressemblent, vos lurons ? »

Il garda le silence, un sourire mystérieux aux lèvres. A tout hasard, je fis glisser une nouvelle pièce vers le tavernier.

- J'sais pas si ce sont vos gars, mais ceux-là, là, dans le coin, ça fait une semaine qu'ils campent ici, répondit-il en les désignant du menton.

« Ce sont eux, Sylvain ? »

Son silence et son sourire figé m'exaspéra. Sérieusement ... ?!

« Aaaargh, tout ça pour ça ?! » m'exclamais-je, « J'ai traversé le pays pour retrouver quatre gars portés disparus qui s'ennivrent depuis une semaine dans le trou du cul du sud ?! Franchement, Sylvain, vous ne croyez pas qu'on a bien mieux à faire ? Je ne sais pas moi, genre, péter la gueule à ce putain de Fléau ? »

J'attendis une réaction quelconque, mais toujours rien. J'en haussais les épaules.

« C'est bon, j'me casse. Vous m'avez fait perdre un temps précieux avec vos conneries, je retourne auprès de mes compagnons. J'sais pas trop ce que vous comptiez faire pour m'évaluer, mais je m'en moque. J'ai pas le temps de jouer. Adieu ! »