Mélaskholès avait pris le temps qui lui était habituel pour évaluer son arme. Ce n'était qu'un simple bâton qui ne valait guère mieux qu'un bout de bois. Après s'être confronté à une première créature, il avait en tête l'idée de se procurer une nouvelle arme. D'autant plus que cette créature n'en était pas vraiment une, car il s'agissait en réalité d'un corbeau. Raison de plus pour s'armer plus efficacement pour anticiper une éventuelle rencontre avec un adversaire plus redoutable. Emporté par ce bon sens, il avait arpenté Arswalt en quête de son bien. Malheureusement pour lui, toutes les boutiques qu'il avait visité avait été dévalisées auparavant. Ce n'était pas de chance tout de même ! Mais l'un des marchand lui avait gentiment conseillé de s'en faire fabriquer une. Et pour ce faire, il lui fallait les ressources nécessaires.

Voilà donc pourquoi Mélaskholès se trouvait en ce moment dans les montagnes célestes. Malgré son objectif, il profitait de ce voyage pour savourer ce calme, inexistant dans la capitale. Son esprit semblait alors s'apaiser, ce qui lui faisait le plus grand bien. Durant son trajet, il avait croisé quelques créatures sans jamais oser se frotter à elles, de peur que son bout de bois ne les excite plus qu'il ne les affaiblisse... A défaut de se battre avec, il s'occupait les mains à le faire tourner entre ses doigts. Parfois, il le lançait haut des les cieux puis courrait pour le rattraper. Il faut dire qu'il avait une fâcheuse tendance à le lancer un peu trop loin. Ainsi, le trajet lui parut bien plus rapide qu'il ne l'était en réalité.

Néanmoins après s'être tant dépensé à jouer de la sorte, il était à bout de force. Il y avait à seulement quelques pas de lui un arbre qui bordait un courant d'eau. Celui-ci dévalait la montagne en suivant le détour, le tracé de la rivière qui avait profondément creusé le flanc de la montagne. Il se précipita à l'ombre pour se mettre à l'abri du soleil et l'effet fut immédiat. Il sentit un long frisson le parcourir alors qu'il regardait le cours d'eau. Sans la moindre hésitation, il retira ses chaussures qu'il lança au loin dans son excitation. De toute manière, il n'y avait pas foule. Personne ne viendrait les lui dérober. une fois pieds nus, il se remonta son pantalon jusqu'au genoux et courut se jeter à l'eau, éclaboussant tout autour de lui. Il clapota ainsi jusqu'à avoir mal aux pieds.
Lorsqu'il regagna l'ombre de l'arbre, celle-ci avait légèrement rétréci. En effet, le soleil était au plus haut dans le ciel. Il s'adossa alors contre le tronc et regard aussi loin qu'il le pouvait. Tout était si ridiculement petit ! Il leva sa jambe et agita alors ses doigts de pieds. Même ses orteils étaient plus grands que les habitations au loin. Cette image le fit rire sans retenu. Il fallait dire que Mélaskholès se trouvait parfois très drôle. Il n'était pas rare qu'il se surprenne à rire de lui-même, car il lui arrivait souvent de se réserver lui-même des surprises. Après tout, n'était-on pas jamais mieux servi que par soi-même ?

Il ne se sentit pas le sommeil qui le saisissait avec douceur. Ce n'est que lorsqu'un insecte se mit à parcourir sans son autorisation son cou qu'il en réalisa combien il était fatigué. Il attrapa l'insecte du bout des doigts et le leva à hauteur de ses yeux, afin de voir qui était ce malotru l'ayant dérangé de la sorte. Ce n'était qu'une coccinelle affolée agitant ses petites pattes dans tous les sens. Elle était mignonne ainsi, mais c'était surtout sa couleur que Mélaskholès appréciait ! Malgré sa beauté toute relative, le jeune homme était mécontent de voir qu'un si jolie insecte n'avait aucune notion de savoir-vivre. Il la posa alors dans la paume de sa main ouverte et d'une pichenette l'envoya voler au loin. Il ne risquait pas de la voir revenir de sitôt désormais.

Décidé à s'endormir, Mélaskholès se laissa glisser du tronc et s'allongea dans l'herbe. Il sentait la fraicheur du sol l'imprégner. Il ne pouvait rien espérer de meilleur en cet instant. Il ferma les yeux et s'endormit aussitôt, les doigts de pieds qui remuaient au rythme de ses agitations répétées.

La blonde aux origines nobles était tout particulièrement motivée pour démarrer sa toute nouvelle vie d'aventurière, bien que pour l'instant, il était plutôt question de survivre que de voyager à travers tout le pays. Et pour ce faire, il lui fallait une bourse remplie. Et au vu de ses goûts que ses parents d'adoption estimaient de luxe, il fallait qu'elle soit BIEN remplie. Oui mais ... il y avait aussi à prendre en considération qu'elle n'irait pas bien loin avec son malheureux casque et son épée de bois.

Elle avait arpenté les armureries d'Arswalt, en quête d'un bouclier quel qu'il soit pour parer un peu les coups susceptibles de la blesser, mais également de quoi mieux s'équiper. Mais quelle ruine ! Si tout le meilleur des équipements de luxe avait été dévalisé, ce qui restait ne valait pas tripette. Or de question qu'elle se trimbale avec ce genre de frusque dégoûtante et puante sur le dos.

Un forgeron lui avait alors dispensé ce précieux conseil que faire fabriquer armes et armures reviendrait très certainement moins cher. Lui-même offrait ses modestes services si elle lui apportait les matériaux nécessaires. Avec le recul, Anay se rendit compte qu'il lui aurait mieux valu demander son avis et ses tarifs à d'autres forgerons et tailleurs, car au vu de combien le bouclier qu'elle lui avait commandé l'avait coûté, elle s'était efforcée de se concentrer uniquement là-dessus, et sur rien d'autre. Tant pis pour l'équipement de corps, il ne restait plus qu'à prier pour que le monstre qu'elle convoitait n'était pas le plus dangereux de la région des montagnes.

- Il me faut 5 dents dorées, ma p'tite. Du hêtre et du cuivre. J't'ai fait une p'tite liste !

Anay s'était emparée du précieux parchemin comme s'il s'agissait d'une carte au trésor, et l'avait fourguée dans son sac en bandoulière. Hêtre et cuivre, elle verrait plus tard, dans l'immédiat, forte de son massacre de moineau et galvanisée par sa victoire écrasante, elle avait envie de tâter de la bestiole.

- L'impérial, dans les Montagnes Célestes, avait-il poursuivit pour lui donner l'endroit où elle pouvait trouver les précieuses quenottes. Attention ma p'tite dame, les montagnes peuvent être dangereuses.

Elle n'avait eu que faire de son avertissement, et s'était préparée au voyage du mieux qu'elle put, avant de prendre la direction de l'ouest.
On lui avait également conseillé d'engager des guides pour l'accompagner, évitant ainsi qu'elle se perde une fois au sommet mais il était hors de question qu'elle ne réduise encore un peu plus son or ...
Bien mal lui en a pris car à peine la matinée achevée et les premiers flans escaladés, elle n'avait déjà plus aucune idée de par où passer pour redescendre. Elle et son sens de l'orientation ...

Ne pouvant plus reculer, elle poursuivit son escalade jusqu'à tomber sur un cours d'eau qu'elle décida de suivre. L'impérial ne semblait pas dangereuse, selon les descriptions qui lui avaient été faites, et somme toute plutôt paisible. Avec un peu de chance, peut-être tomberait-elle sur l'une ou l'autre de ces créatures venues s'abreuver ?
Elle poussa plus haut et repéra un arbre en bordure de rivière et s'y dirigea instinctivement pour y faire une pause bien méritée.

Au sol, sur un pavé d'herbe, un jeune homme était allongé. Sur le qui-vive, elle dégaina son épée à la vitesse de l'éclair et la pointa en direction de cette personne, s'avançant précautionneusement vers lui. Était-il mort ? Sa position ne le laissait pas suggérer, et il n'y avait aucune projection de sang, il n'avait donc pas été attaqué par un animal sauvage. Alors, se pouvait-il que ... Dormait-il ?!

« Euhmm ... Bonjour ?! » lança-t-elle à son attention en enfonçant doucement la pointe de son arme dans les côtes de l'endormi.

Mélaskholès fut réveillé par une voix qu'il ne connaissait pas. Il sentit aussi qu'on lui enfonçait quelque chose entre les côtes. C'était une chose qu'il trouvait toujours désagréable que de se réveiller ainsi. Bien qu'il était désormais réveillé il garda les yeux fermés. Durant un bref instant il repensa à cette coccinelle et se dit que si elle était encore celle qui troublait son sommeil, il l'écraserait sans le moindre scrupule cette fois-ci.
Il ouvrit alors un oeil, tentant de se montrer discret. Soit l'insecte avait changé, soit ce n'était pas une coccinelle. Il ouvrit son second oeil pour s'en assurer et constata que c'était une créature d'une toute autre espèce puisqu'il s'agissait d'une femme qui le pointait de son arme en bois. Ils possédaient tous les deux la même arme, à la différence que la sienne ressemblait davantage à une lame et non à un vulgaire bout de bois comme lui.

Il se redressa soudainement, comme surpris durant une besogne qui ne nécessitait aucun spectateur.

« N'avez-vous pas l'impression qu'il y a un problème ? demanda-t-il en agitant les bras. Vous me réveillez et me dîtes bonjour ! Ma journée aurait probablement été meilleure si ma sieste n'avait pas été interrompue de la sorte ! »

Il poursuivit alors sans laisser le temps à cette pauvre jeune femme de répliquer quoique ce soit.

« Vous m'auriez servi des excréments dans une assiette en me souhaitant bon appétit, ça aurait pareil ! » Il croisa alors les bras d'un air boudeur. S'il avait souhaité être réveillé de la sorte, il serait resté à Arswalt, là-bas les gens ne se gênaient pas de vous faire savoir quand vous les dérangiez. Il suffisait de s'endormir on ne peut plus naturellement au milieu d'un chemin pour qu'un malotru vous réveille en prétextant que vous étiez sur son chemin. Il se calma enfin et soupira sans ménagement.

« Bonjour... » Lâcha-t-il d'une petite voix. Après tout, elle s'était au moins montrée polie, ce qui n'était pas toujours le cas, même très rarement. Il ne pouvait pas se débarrasser d'elle comme il l'avait fait avec l'insecte. Il doutait qu'une pichenette soit suffisant pour cela. Peut-être que si l'insecte l'avait salué tout à l'heure, il l'aurait traité de manière plus courtoise. Malheureusement, c'est une chose qui resterait sans réponse, ce qui le frustra intérieurement. Pourquoi les interrogations les plus profondes et pourvues de sens étaient-elles toujours sans réponse ? Tout à coup, sa vie sembla perdre davantage de sens. Il voûta le dos, comme sous le poids de la tristesse et du désespoir.

Mais en faisant cela, il remarqua les pieds de la jeune femme et se rappela de sa présence. Il vit également qu'elle tenait toujours son arme en bois, cette même arme qui l'avait réveillé un peu plus tôt.

« Vous savez, vous n'avez pas l'air bien menaçante avec ce bâton ! J'ai le même que vous. Je lui ai trouvé une autre utilisation, beaucoup plus pratique vous savez. » Il envisagea de lui faire une démonstration, mais estima qu'elle devait avant ça le mériter. Mélaskholès n'était pas de ceux qui faisaient une prestation à ceux qui le réveillaient de la pointe d'une arme en bois. Ceci dit, si la pointe de cette même arme avait été en une toute autre matière, peut-être aurait-il fait une démonstration...

A l'impertinence du jeune homme, Anay fronça les sourcils et fit une moue désapprobatrice. Elle n'aimait guère qu'on lui parle sur ce ton, d'autant qu'elle avait voulu sa salutation particulièrement amicale et enjouée, si l'en était. Comment, par le Fléau, aurait-elle pu l'éveiller autrement ?!
Qu'il ait le réveil grincheux c'était une chose, mais il devait avoir à peu près le même âge qu'elle ! Cela ne lui donnait pas tous les droits pour lui être ainsi si désagréable.

Pantoise devant une telle agressivité, la blonde ne savait que dire. Elle l'avait tâtonné pour vérifier s'il n'était pas mort, elle n'avait jamais eu l'intention de le menacer. Il s'adoucit suffisamment que pour lui dire bonjour, peut-être d'une façon trop bougonne pour la jeune femme, car elle fut convaincue que c'était bien plus par politesse que par soucis d'être désolé de son comportement qu'il lui répondit.

Jusqu'ici, elle pouvait toujours lui pardonner et feindre l'ignorance, tourner les talons et ne plus jamais le revoir, mais à cette arrogance nouvelle, elle ne put l'autoriser.
Elle brandit son épée de bois, aussi fièrement qu'elle l'imaginait, et pointa le visage de l'inconnu plus déterminée que jamais.

« Je n'aime guère vos manières, Monsieur. Si vous faire réveiller de la sorte vous a dérangé, sachez qu'il n'y avait aucune mauvaise attention derrière mon geste, je dirais même plus qu'il y avait un réel souci de vous porter assistance si vous en aviez besoin. Et maintenant, comme ultime bravade, vous spéculez être meilleur que moi en me jetant à la figure, et avec dédain, que vous m'êtes supérieur et cela même si nos bâtons - comme vous dites, sont les mêmes ? Ah ! Et bien, vérifions cela sur-le-champ ! Sur vos jambes et prouvez-moi votre valeur ! »

Aussitôt ces mots prononcés, elle regretta amèrement qu'ils fussent passés par ses lèvres. Et puis, d'où lui venait ce phrasé pompeux qu'elle n'employait jamais ?! Elle se mordit l'intérieur de la joue. Rien ne lui garantissait la victoire. Rien ne lui garantissait de s'en sortir, d'ailleurs. Mais selon ses observations, il n'était pas très aguerri, et effectivement, à moins qu'il ne cache une arme métallique sur lui, il ne disposait que d'un bâton. Tout comme elle.
Et puis, rien ne lui disait qu'il allait accepter, mais si son ego avait été atteint comme le sien, alors, il ne refuserait pas quelques échanges.