Anay gisait au sol, fatiguée de son ultime effort qui lui avait coûté toute son énergie, malgré l'épuisement et les plaies infligées, elle trouva assez de forces pour observer les actions de son compagnon acolyte, s'assurant que tout se passerait bien pour lui. Qu'il jure d'apporter réparation à sa chemise lacérée lui fit sourire dans son malheur. Mélas' était un allumé, n'ayant pas la lumière à tous les étages c'était certain, mais n'était pas méchant, et surtout, démontrait une vaillance au combat qui n'était pas visible à l’œil nu.

Avec grand étonnement - mais soulagement également - il abattit le dernier iméprial, réalisant la promesse qui lui avait faite un peu plus tôt. Il se laissa tomber auprès d'elle, tandis qu'elle ramassa son épée pour y prendre appui et s'asseoir en tailleur, dos contre la paroi du rocher. Son sauveur, qui avait pourtant toutes les raisons de jubiler de sa victoire et de leur survie, se désespéra de leur situation. Avec une pétillance nouvelle, elle éclata d'un rire cristallin.

« Allons bon, que voulez-vous de plus, l'ami ? Nous cherchions un impérial, nous en avons trouvé deux. Grâce à vous, nous sommes saufs, alors il n'y a aucune bourse d'or qui serait incapable de rabibocher cette chemise, ne vous tracassez donc pas pour elle. Quant à votre grâce, je peux vous assurer qu'elle demeure intacte. »

En vérité, dans le feu de l'action et les forces manquantes, elle ne s'était concentrée que sur le résultat final, et non l'élégance du geste que Mélas' avait fait pour l'emporter.
D'un revers de manche, elle essuya la sueur de son front, observant le bleu du ciel et appréciant cette brise fraîche qui venait les récompenser.

« Vous vous êtes bien battu », conclut-elle poliment, même si en définitive, il était entièrement responsable de la situation dans laquelle ils se sont empêtrés. « Vous reste-t-il assez d'énergie pour user de votre bâton une dernière fois ? Nous avons piètre allure à nous vider de notre sang dans la poussière ... »

Anay le rassura comme elle le pouvait, d'autant plus qu'elle s'investissait dans une tâche difficile. Ses mots étaient emplis de bon sens. Il y trouva même de la douceur, ce qui contrastait avec la guerrière qu'elle était. En réalité, elle lui parla comme à un enfant et c'est ce qui fonctionnait le mieux. Mélaskholès se calma alors, reniflant à plusieurs reprises. Il était loin de tout relever, mais une chose était certaine c'est qu'elle n'avait pas hésité un seul instant de risquer sa vie pour lui.

« Tu es quelqu'un de bien même si ta chemise est perdue... » Où était le rapport ? Il n'y en avait pas. De même qu'il tutoyait la jeune femme bien que cette dernière ne se permettait pas de telles familiarités. Il ne fallait pas pour autant s'en offusquer venant de lui car il n'avait jamais compris en quoi cela était un signe de politesse. Bien trop souvent il avait remarqué combien le vouvoiement manquait de sincérité et au contraire pouvait aisément dissimuler de l'hypocrisie.
La politesse n'était pas un masque que l'on pouvait porter à loisir. Elle n'était réelle que lorsqu'elle était sincère. Aux yeux du jeune homme, le respect pouvait se passer d'une formule toute pré-construite. C'était la moindre des choses, elle avait tout de même mis sa propre vie en péril pour lui.

La jeune femme saignait, tout comme lui d'ailleurs. Elle lui demanda s'il était possible qu'il fasse de nouveau usage de ses soins pour panser leurs blessures.
« C'est une merveilleuse idée ! » S'exclama-t-il. Il n'y avait même pas songé de lui-même. Il se laissa glisser jusqu'à elle et brandit son bâton juste au-dessus de sa tête. Il ne savait pas comment s'y prendre ne l'ayant jamais réalisé avant ce combat. Il avait prodigué des soins sans vraiment le souhaiter tout à l'heure. Un peu comme si la situation avait éveillé un pouvoir en lui, mais qui était en sommeil en temps normal. Malgré sa crainte de ne pas réussir, il se lança dans une tentative qu'il espérait être fructueuse.
Il ferma les yeux pour mieux se concentrer. C'était un bien grand mot car une fois les yeux fermés son esprit se mit à l'assaillir d'idées et même d'images sortant de nul part. Finalement, il allait garder les yeux ouverts et les poser sur Anay, peut-être parviendrait-il ainsi à rester concentré. Il alla puiser son énergie au plus profond de lui, il la sentait circuler en lui. Cette sensation était extraordinaire ! Quand vint le moment où il pensait pouvoir libérer son pouvoir, il agita son bâton.

Rien ne se produisit. Il resta figé sur place dans l'attente d'une manifestation qui ne dépendait finalement peut-être pas de lui. Mais il voulait réussir, il le souhaitait de son coeur. Alors il redressa le bâton guidé par son instinct et le laissa tomber sur le haut du crâne d'Anay. Constatant que cela n'avait aucun effet, il réitéra à deux reprises l'expérience, assenant la pauvre jeune femme de deux nouveaux coups.
Aucun doute, cela n'avait pas fonctionné. Aucune lumière cette fois-ci, aucune énergie lumineuse enveloppant son corps. C'était un échec de plus.

« Bon... Je crois que mon bâton est cassé. Je ne vois que ça ! » Il retourna son arme entre les mains et approcha l'extrémité jusqu'à son oeil. Peut-être apercevrait-il une anomalie qui expliquerait pourquoi cela ne fonctionnait pas.
Sinon il y avait une autre possibilité qui ne lui vint pas à l'esprit. Le jeune homme était tout simplement à bout de force et incapable de faire appel à cette fameuse puissance qui sommeillait en lui. La seule chose à faire était d'attendre qu'il récupère.

Anay lui avait franchement sourit lorsque Mélas' souligna le fait qu'elle était une fille bien. Évidemment, qu'elle l'était ! Pourquoi avoir été Élue si ce n'était pas le cas ? Mais qu'il le remarque lui fit grandement plaisir, et d'autant plus de le lui confirmer à haute voix. Elle n'était cependant pas certaine que la chemise ait à voir avec sa bonté d'âme, mais venant de la part du jeune homme, elle n'était qu'à moitié surprise.

Il trouva l'idée de les soigner ingénieuse, ne s'étonnant pas davantage que cela ne lui soit même pas venu à l'idée de lui-même. Mélas' était un fou. Un joyeux fou. Comme elle l'avait déjà songé, pas toujours la lumière à tous les étages, et il lui semblait bien qu'il évoluait un univers très différent du sien, tout en étant pourtant à côté d'elle. Mais il s'était révélé très utile, et avait été un compagnon d'infortune appréciable.
Le guérisseur s'adonna à des rituels gestuels très étranges, comme s'il tentait de se remémorer comment il avait réussi, la première fois, l'exploit de les soigner. Encore un peu, Anay aurait pu penser qu'il les avait apaisés par un pur et total accident ...
Il cogna de son bâton à maintes reprises sur la tête de la mercenaire qui lui décrocha un regard mauvais.

« Je te serai gré de ne pas m'achever ? J'aimerais descendre de ces Montagnes encore en vie ... », répondit-elle sèchement, avec sarcasme, avant de lui adresser un sourire amusé.

Mélas' l'ignora et annonça que son bâton devait être cassé. Elle y trouvait une autre explication, mais elle garda le silence. Lui aussi devait être fatigué, elle-même était épuisée. De plus, si son épée de bois avait tenu le choc de ces multiples attaques violentes, alors ce n'était pas quelques soins qui avaient abîmé le précieux bout de bois.

« Ce n'est rien », répondit-elle simplement.

Ensuite, elle ôta sa chemise déchirée, de toutes façons, elle ne lui serait plus très utile; et la réduisit en multiples bandelettes, avant d'en céder la moitié à Mélas'.

« Tiens, utilise ça, pour tes blessures. Ce n'est pas très propre, mais cela fera des pansements rudimentaires. »

Une fois rafistolée du mieux qu'elle put, Anay se redressa non sans émettre des gémissements plaintifs de douleur. Les bandages aidaient à contenir le saignement, mais n'effaçaient en rien son impression d'avoir été découpée de partout. C'était probablement le cas, d'ailleurs. Plus jamais elle voulait ressentir cette souffrance, elle n'était pas venue pour cela. Finalement, peut-être qu'elle n'était pas l'Élue qu'elle se pensait être, sans quoi, elle les aurait abattus sans sourciller, et avant même de recevoir les premiers coups de griffes, et autres morsures. Non, il ne fallait pas qu'elle ait ce genre de pensée. Ce n'était pas de sa faute, elle était seulement mal équipée. Une épée de bois, et même pas l'ombre d'un bouclier derrière lequel elle pourrait se protéger. On aurait pu croire que les personnes apôtres de l'Arbre auraient eu au moins la décence de lui offrir une véritable épée à la lame de métal et aiguisée. Mais non. Quelle pitié et quelle honte d'habiller ses héros élus d'une si modeste manière.

S'aidant du bout de bois que tout guerrier aurait eu honte d'appeler épée, elle abandonna ses pensées amères et se dirigea vers les cadavres des deux impériaux sauvages. Une fois arrivée à leur hauteur, et d'un coup de pied, elle ouvrit la gueule de l'un d'entre eux. Pas étonnant qu'ils soient, Mélas' et elle, dans un tel état quand on voyait la taille de ces crocs !
Se pliant en deux comme une vieille dame se plaignant de ses articulations douloureuses, elle extirpa un petit couteau de poche qu'elle gardait dans sa chaussure. Malgré tous ses efforts, elle n'arriva pas à rester debout tout en gardant la gueule béante de l'animal suffisamment longtemps pour récupérer son bien; aussi, elle se laissa tomber au sol, sur les fesses, libérant la main qui se cramponnait à son appui. Tailladant ensuite dans les gencives, elle extirpa tant bien que mal deux dents dorées, soit la raison de sa venue ici.

Elle s'était attendue à ce que toutes les dents de l'impérial soient dorées, elle aurait pu ainsi toutes les extraire, et une fois dans la cité, les revendre à bon prix. Mais il semblait bien que ces animaux n'en disposaient que d'un nombre aléatoire, un peu à l'image de ces vieux hommes qui se font ajouter des dents en or pour combler la perte d'une de nacre. Plein d'espoir, elle se traina jusqu'au second cadavre et réitéra l'extraction. Elle n'eut pas beaucoup plus de chance. Quatre. Quatre malheureuses dents dorées au total, alors que sa précieuse liste en demandait cinq. Il lui faudrait donc à nouveau croiser le bois avec d'autres impériaux. Mais très certainement pas dans l'immédiat, il fallait qu'elle pense à se refaire une santé d'abord, et guérir de si lourdes mutilations, cela lui prendrait facilement des semaines, si pas des mois ...

« Prends ça », dit-elle à l'attention du guérisseur en lui lançant deux dents dorées, soit la moitié de leur récompense. « Tu es bien venu pour ça, non ? Si pas, tu peux toujours les revendre en ville, je pense que tu peux en tirer un bon prix. »

Elle n'était pas égoïste au point de tout rafler pour elle, et puis, même s'il était fautif et grand maladroit, il avait amplement mérité le précieux trésor pour les avoir sauvés tous les deux. Elle reviendrait ici quand elle aurait davantage d'expérience, c'était tout.

« Et tu pourras t'acheter un beau bâton tout neuf, et fonctionnel comme ça ! » ajouta-t-elle dans un sourire éclatant.

Mélaskholès ne parvenant pas à les soigner tous les deux, Anay prit le relais et utilisa sa chemise déchirée pour en faire des bandages. Il la regarda faire avec intérêt, cela pourrait s'avérer utile en plein combat si jamais son arme refusait à nouveau de fonctionner. Il fut d'autant plus surpris lorsqu'elle lui offrit un lambeau pour panser ses propres blessures. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas occupé de lui de la sorte. Chose aussi rare qu'exceptionnelle, l'acolyte n'eut pas les mots pour la remercier. Il se contenta seulement de lui adresser un regard empli de reconnaissance. Qu'elle en profite, car cela n'allait pas durer éternellement. Ces rares occasions étaient aussi rares que brèves.

Il imita soigneusement Anay pour faire son propre bandage. Il réussit qu'au bout de la deuxième fois, car au premier essai son bandage se défaisait de lui-même. Pour serrer davantage et de manière plus efficace, il s'aida de ses dents pour faire le noeud. Le résultat n'était pas tout à fait convainquant, mais le sang ne coulait plus. Ainsi il aiderait à la coagulation pour enfin cicatriser.
Néanmoins il en était satisfait. Toujours sans dire un mot il exhiba son travail en agitant la jambe qu'il avait bandé.

Toujours d'un regard attentif, à croire que le combat l'avait trop épuisé pour commenter le moindre pet de mouche qu'il interceptait, il observa Anay récupérer quelque chose dans la gueule des créatures. Cela le répugna mais son admiration pour la jeune femme ne cessa de croître. Elle récupéra son butin et lui offrit sa part.

« C'est vrai que ça peut être utile ! Merci beaucoup ! » Dit-il en détaillant méticuleusement les dents qu'il tenait dans la paume de sa main. L'entendre évoquer un nouveau bâton délia sa langue. « Tu penses vraiment que je pourrai avoir une nouvelle arme ? » Dit-il avec émotion. A cet instant il avait les yeux qui scintillaient à l'idée d'être maître et possesseur d'une nouvelle arme. « Tes idées sont si bonnes ! Il faudra un jour que tu m'expliques comment tu t'y prends pour être aussi efficace. Puis surtout pour avoir des idées toujours aussi lumineuses ! Moi-même j'ai des idées, beaucoup vois-tu à tel point que je ne peux toutes les mettre en action. Je dois sans cesse choisir et le pire c'est que parfois j'ai des idées, dont je ne suis en aucun cas responsable, qui s'imposent ! Arrives-tu à l'imaginer que cela arrive à moi ? Je sais, c'est vraiment improbable. J'ai du mal à y croire moi-aussi, oui. Oui je sais, on est d'accord tous les deux. En plus de ça... »

Mélaskholès avait retrouvé l'usage de la parole. Il se mit à penser à voix haute comme il avait l'habitude de faire lorsqu'il était seul. Anay ne pouvait que l'écouter car il était impossible de l'interrompre dans ces moments-là. Heureusement pour elle, Mélaskholès était trop occupé à faire plusieurs choses à la fois pour remarquer que la jeune femme ne pouvait plus l'entendre. En effet, il s'était levé pour se rendre auprès d'un cours d'eau qui dévalait la montagne. Sans prévenir il se releva tout en continuant de parler et s'éloigna petit à petit. Ainsi il épargna malgré lui Anay d'un discours qui était tout sauf passionnant.
Ce simple aller retour ne prit pas beaucoup de temps, mais suffisamment pour que son monologue prenne fin lorsqu'il retourna auprès d'Anay.

« ...Je sais ce que tu diras, remarque j'ai un doute puisque tu ne me l'as pas dit... Mais je penses sincèrement que c'est ça le secret. S'il y a bien une chose que j'ai retenu, c'est ça. Tu gagnes de l'or, beaucoup d'or comme ça. Une fortune comme je n'en avais jamais vu ! » Sur ce, il s'assit exactement où il s'était assis peu de temps auparavant. Son attention se porta alors sur Anay comme si rien de tout ce qu'il venait de faire ne venait de se produire. « Il faudrait trouver de quoi se rafraichir, non ? »