Il avait mis plusieurs jours à se remettre du tournoi. La blondasse caparaçonnée l’avait mis au tapis en seulement trois attaques… Certes, il avait été immédiatement soigné et ne gardait aucune séquelle – pas même une cicatrice – de ses blessures, mais la plaie psychique n’avait pas été suturée.

La première chose qu’il avait pu faire – une fois sa torpeur amoindrie – fut de provoquer Amorine. L’enchanteresse qui ne semblait pas s’y attendre s’était à peine défendue… Enfin, disons qu’elle ne chercha pas à blesser l’acrobate qui lui avait pourtant envoyé un poing dans la figure bien placée – le cartilage de son nez déjà amoindrit par la vieillesse avait fortement craqué – et l’avait même laissé la frapper – protégeant quand même son visage de ses avant-bras – jusqu’à ce que la noirceur dans ses yeux s’estompe un peu. Lorsqu’il s’était écarté une fraction de seconde pour reprendre son souffle, elle avait brandit son bâton et l’avait simplement assommé, couplé à un sort de sommeil. Puis elle l’avait laissé là – tombé dans sa fange – jusqu’à ce qu’il se réveille. Elle avait alors tenté un dialogue mais le jeune homme ne détempêtait pas. Il l’incendia de tous les noms d’oiseaux, lui reprocha sa défaite face à la mercenaire et mit enfin sur le tapis ce qu’il pensait au fond de lui depuis des années.

Il lui dit que ce qu’il s’était passé était de toute façon inévitable, qu’elle avait beau le pousser il ne valait rien, qu’elle pourrait dire tout ce qu’elle voulait pour tenter de lui remonter le moral, les faits était là : il n’était qu’une merde, qu’un parasite, l’Arbre s’était bien planté en le choisissant. Il n’était rien, ni personne, il aurait mieux fait de crever le soir où il s’était pochtronné et que l’Autre s’était manifesté. Il se mit alors à tout déballer, son enfance, ses parents, la vie avec les brigands des Montagnes Ecorché, son escapade avec ses amis, ses mésaventures, l’arrivée de l’Ectoplasme, insidieux, malveillant, toujours prompt à lui balancer la vérité en plein dans la gueule… Le jour où Ralf et Catherine l’avait quitté, le glas avait sonné et avait depuis lors toujours raisonné dans un coin de sa tête… Que l’Arbre de la Vie l’ai appelé lui avait donné un sursis, mais il se rendait bien compte à présent que ça n’était qu’un faux-semblant. Que cet appel n’était en réalité qu’une fuite en avant vers sa fin imminente.

Que ça soit sous la lame d’un autre élu plus fort ou sous les crocs et griffes d’une fléeuse, Alarick filait droit vers sa mort et c’était la meilleure chose qu’il pouvait lui arriver.

Il hurlait, il pleurait, ses émotions se lisait sur sa figure, se voyait dans ses mouvements. Sa peine, sa souffrance, sa peur… Amorine senti son cœur se fendre en deux et ne put retenir ses larmes.

Elle avait tenté de le prendre dans ses bras, de le bercer comme l’aurait fait une mère mais c’était peine perdu. Le jeune homme était plein d’une rage qu’elle ne pouvait contrôler. Même un sort de sommeil renouvelé à plusieurs reprise ne serait pas en mesure d’apaiser sa colère, sa rancœur, sa souffrance… Même le plus puissante de ses potions – maintenant qu’elle était sûr qu’il souffrait bien d’un trouble psychotique – n’aurait sans doute eut aucun effet…

Elle l’avait donc laissé se renfermer dans sa douleur plusieurs jours durant.

Lorsqu’elle fut certaine qu’il s’était apaisé – en fait il avait de plus en plus l’air de sombrer peu à peu dans une catatonie mélancolique, prostré sur sa paillasse, ne dormant quasiment plus, mangeant les quelques cuillères qu’elle réussissait à lui donner en becqué – elle fini par passer à l’acte. Commençant par le jeter dans un bac d’eau pour le savonner des pieds à la tête – y collant aussi Pignouf au passage qui s’était calqué sur l’état général de son maître depuis quelques jours – elle le força en suivant à sortir.

Il avait à peine rechigné, se laissant guider dans les rues trop bondées, trop étroites… Elle l’observait du coin de l’œil et avait l’impression qu’il écoutait quelque chose, ou quelqu’un, comme s’il était totalement déconnecté de la réalité. Elle l’emmena manger dans une taverne animée, dans les quartiers huppés où tout miroitait de beauté, dans les quartiers plus pauvres où les enfants criaient en galopant dans les rues malodorantes, mais rien ne semblait faire réagir Alarick qui même s’il semblait moins renfermé ne manifestait pas l’ombre d’une réaction… Ils étaient sorti de l’enceinte d’Arswalt depuis plusieurs heures déjà – Amorine se disant que le contact avec la nature pourrait peut-être le ramener à la vie – et la nuit était tombée lorsqu’enfin Alarick daigna lui adresser la parole.

- C’est la pleine lune cette nuit… avait-il simplement dit, la tête levé vers l’astre rond et brillant

Amorine n’eut même pas besoin de le pousser à parler que le jeune homme – après un soupire – s’était lancé dans une conversation presque solitaire… L’enchanteresse n’avait pas tout saisi – sans doute échangeait-il avec ses entités intrapsychique – mais elle rebondit sur une information qui lui sembla très opportune.

- Ah oui tiens ! J’avais oublié cette information moi aussi… Le rendez-vous est dans quatre jours, ça tombe plutôt bien, on a le temps de préparer notre paquetage et de descendre au mur.
- Tu crois vraiment que rejoindre ce dingo de Mélaskholès pour aller poutre de la fléeuse dans un donjon est une bonne idée en ce moment… ? avait-il répondu, soudainement totalement présent face à Amorine, la fixant même droit dans les yeux, comme si un voile s’était soudainement levé
- Et pourquoi pas… ? Tu as totalement perdu confiance en toi ces derniers jours, et je peux le comprendre… Seulement ça ne veut pas dire que je suis d’accord avec ça. Je te le dirais aussi souvent que nécessaire Alarick, mais l’Arbre de la Vie ne se trompe jamais. S’il t’as choisi c’est que tu es capable de grandes choses. Ce n’est pas parce qu’avant cela tu n’as pas eu de but dans la vie que ça doit continuer ainsi. Certes, ce nouvel objectif semble bien dangereux, et dans un certain sens je conçois qu’il rejoint ta pensée suicidaire, mais, à petit feu… Et en aidant ton prochain. Ne crois-tu pas que c’est une belle façon de vivre ta vie si pleine de souffrance soit-elle… ? C’est peut-être pour ça que l’Arbre t’a justement choisi… Une âme égarée, plus forte qu’elle n’y parait et qui a tant à offrir aux autres que lui-même…

Alarick n’avait rien dit, ne la lâchant simplement pas des yeux. Il sembla de nouveau se plonger dans d’intenses réflexions et Amorine vit son regard et son expression changer plusieurs fois – signe qu’elle interpréta comme une conversation interne – avant qu’enfin il réponde à sa proposition d’accepter l’invitation de Mélaskholès.

- Bon, très bien. Allons au mur. Foutu pour foutu, si j’crève la dedans au moins j’aurais fait quelque chose de bien dans ma vie.
- Mais ce n’est pas ce que j’ai dis… fit l’enchanteresse d’une voix presque plaintive

Mais Alarick s’était déjà levé du tronc d’arbre où ils s’étaient assis et reprenait déjà la chemin de la ville. Il ne dit plus un seul mot, même jusqu’à ce qu’ils se mettent enfin en route – le lendemain en début d’après-midi après avoir acheté des provisions pour le voyage. A dire la vérité, il ne dit absolument rien de tout le voyage, qui dura trois jours entier. C’est Amorine qui le brisa finalement, alors qu’ils pénétraient dans le dernier village avant le mur.

- Je vais te laisser là Alarick. avait-elle lancé à brûle-pourpoint tout en stoppant net sa marche
- Hein ? il s’était vivement retourné, la regardant avec surprise
- Je ne t’accompagnerais pas jusqu’au mur, encore moins dans le donjon. Tu dois y aller seul. Te rendre compte par toi-même tout ce que moi je vois en toi… Rester à tes côtés ne ferait que te raccrocher à une idée, au lieu d’en faire toi-même l’expérience… Je crois en toi Alarick, je sais que tu me reviendra, dans quelques jours, entier et regonflé. Le Donjon des Grandes Portes permet aux élus de vraiment voir ce qu’ils valent, et en équipe, qui plus est… Tu verras aussi que faire des alliances est une très bonne chose dans la vie d’un élu.

Elle lui souriait doucement, sincère, emplie d’une émotion de fierté qu’elle tenta de distiller au jeune homme.

- Tiens, prend ça. Même si Mélaskholès sera là pour soigner tes blessures, ce fortifiant pourra toujours t’être utile… En général les élus restent plusieurs jours à l’intérieur du donjon, sans beaucoup dormir… elle lui colla une petite fiole empli d’un liquide violet dans la main Fais attention à toi, Alarick, moi je t’attendrais, je serais toujours là pour toi.

Dans un sourire, elle caressa fugacement sa joue puis se remit en marche. Alarick la vit disparaitre sous le porche d’une auberge et resta immobile à fixer la porte close jusqu’à ce qu’un paysan ne lui hurle de dégager alors qu’il bloquait l’accès pour sa cariole.

Sursautant, il se remit alors à marcher sans vraiment s’en rendre compte et ses pieds continuèrent d’avancer jusqu’à ce que les immenses portes du donjon éponyme ne se profilent dans son champ de vision. Il y vit autre chose aussi, une silhouette encapuchonnée qui lui fit des grands gestes lorsque le masque blanc s’était tourné vers lui.

- Oui, tu es là… avait-il simplement répondu en guise de bonjour, retenant un soupire et se passant une main dans les cheveux pour remettre des mèches rebelles en arrière

Fort heureusement, ils n’eurent pas le temps de converser, une autre personne arrivait à leur niveau et Alarick reconnu le mage aux allures de mercenaire à qui il avait sculpté un sceptre magique. Il allait lui répondre mais l’acolyte le fit pour lui. Se retenant de froncer les sourcils, il haussa simplement les épaules.

Il n’avait pas envie de causer. Et puis l’Ectoplasme et l’Autre qui ne s’étaient jamais arrêté de parlé depuis la fin du tournoi continuaient de tempêter dans son crâne, le rendant fébrile. Il savait qu’il aurait du mal à se contrôler s’il commençait à réagir à la moindre remarque… Il se contenta donc de saluer Uthred d’une signe de tête et se mit à observer attentivement les grandes portes menant à sa prochaine aventure…

C’était difficile à croire mais, au fond, il espérait grandement qu’Amorine était dans le vrai.