Il faisait les cents pas devant la porte qui devait le conduire pour la troisième fois au centre de l'arène. Il marchait depuis que ses blessures avaient été soignées par les acolytes et guérisseurs employés par le roi. Il avait voulu aller voir Anay, présenter ses excuses et surtout voir si la magie du soin avait été tout aussi efficace que sur lui mais on lui avait refusé l'accès à l'infirmerie où elle se reposait. Il avait juré et tempêté mais rien n'y avait fait. Alors, frustré et inquiet, il s'était mis à faire les cents pas et avait continué une fois conduit devant la porte de la fosse.

Plusieurs émotions et sentiments se mêlaient dans son être, entre colère, frustration et tristesse, une once de culpabilité qui peu à peu prenait le pas sur tout le reste. Par le Fléau comme il s'en voulait ! S'il avait compris plus avant ce qu'avait essayé de lui dire la guerrière, il n'aurait pas lancé sa dernière attaque... Il aurait baissé les armes, peut-être même lui aurait-il concédé la victoire. Mais Anay n'avait pas réussi à le lui faire comprendre et c'était elle qui s'était rendue.

A présent l'heure était à la finale, et il n'avait même pas regardé qui serait son adversaire. Plus rien n'importait à dire vrai que ce sentiment inavouable de culpabilité honteuse... Il était tellement persuadé que la puissance de la mercenaire allait le terrasser, jamais il n'avait voulu la faire autant souffrir...! Il voulait juste se défendre, garder la tête haute, montrer à tous qu'il était digne du don qu'il avait reçut de l'Arbre de la Vie...

C'est donc avec une certaine boule au ventre qu'il entra finalement de nouveau dans l'arène, sous la clameur des spectateurs qui en voulaient pour leur argent. Et d'ailleurs, à quoi allait bien servir l'argent récolté par le roi ? Anay avait raison, le suzerain de Naggaroth donnait des jeux à ses sujets mais le rôle des élus n'était pas de se donner en spectacle... Ils avaient été choisis pour lutter contre le Fléau qui s'abattait sur la populace, qui menaçait les terres, la vie toute entière de cette île prodigieuse où les humains avaient été créé pour que la paix prospère... Le mage espérait fortement que les paroles de la mercenaire avait fait ouvrir les yeux au roi, qu'il allait investir l'argent récolté dans la défense de la cité, pourquoi pas la création d'une milice d'élus spécialement dédié à cela...? La garde Arswaltienne était puissante, mais aucun de ses soldats n'étaient équipés – sans parler de la magie des élus – pour combattre efficacement les fléeuses.

Uthred était donc en train de rêver éveillé à un monde plus sécurisé tandis qu'il traversait le sable chaud de l'arène jusqu'à son ultime adversaire. Mais il ne le vit, ou plutôt ne LA vit que lorsqu'elle s'adressa à lui.

Eleanor d'Abeville, la belle rouquine intrépide et irréfléchie dont il avait fait la connaissance dans les bois des montagnes Célestes. Il se souvenait et se souviendrait toute sa vie de cette rencontre, aussi déplaisante qu'incroyablement agréable.

Il n'avait jamais revu la jeune femme depuis et, aujourd'hui, ils étaient adversaires dans un tournoi idiot et sans but à par celui d'amuser la populace et assoir un peu plus la suprématie des élus. Et encore, Uthred n'était même pas certain que le roi avait organisé ce tournoi dans ce but là... En cet instant, Uthred voyait son suzerain comme un enfant gâté qui ne cherchait qu'à s'amuser.

Il ne répondit pas à Eleanor, il était bien trop surpris de la trouver là, face à lui... Non pas qu'il doutait de ses capacités – il l'avait vu combattre et malgré son tempérament irréfléchi, elle était bien assez puissante pour être arrivée jusqu'ici dans ce tournoi absurde – mais il n'aurait pas imaginé devoir la combattre.

Il ne réagit même pas lorsqu'elle fonça sur lui. Elle avait l'avantage de la rapidité et puis il était encore trop sous le choc pour se mettre en action...

Il senti à peine les coups de lames sur ses jambes, à peine fléchit-il, mais lorsque la lame s'enfonça dans son ventre, la douleur le réveilla enfin.

Dans un soudaine accès de rage il matérialisa une boule de feu qu'il propulsa à bout portant droit dans l'abdomen de la jeune femme. Cette dernière fut projetée en arrière et atterri dans le sable. Mais Uthred dont les instincts de survit s'étaient réveillés ne s'arrêta pas là. Une fraction de seconde seulement était passée avant qu'il n'envoie un faisceau de sommeil sur la jeune femme.

Eleanor resta donc étendue sur le sol et Uthred se remit à faire les cents pas devant elle, sous les huées des spectateurs. Il était de nouveau plongé dans ses pensées alors qu'il fixait le corps étendu d'Eleanor, passant et repassant devant elle, le cœur tambourinant et l'esprit totalement confus.

Que devait-il faire en cet instant...? Il n'avait pas baissé les bras devant Anay car il était persuadé que cette dernière serait vainqueur... Ce combat là était différent et il le savait. D'un côté, Eleanor était irrémédiablement moins puissante et moins endurante d'Anay, et de l'autre elle avait été son amante. Devait-il lui concéder la victoire ? Devait-il laisser tomber son sceptre ? Il ne pouvait s'y résoudre, son égo le lui interdisait et d'un autre côté, il n'avait pas non plus envie de la faire souffrir comme il avait fait souffrir Anay...

Un dileme terrible et angoissant s'empara alors de lui et les minutes passèrent sans qu'Uthred ne réussisse à prendre de décision. Il continuait de marcher, fixant Eleanor, sous les cris de plus en plus puissants des spectateurs qui le sommaient de reprendre le combat. Il savait pertinemment que la jeune femme ne se réveillerait que s'il l'attaquait de nouveau...

Si je lui concède la victoire je passerais pour un pleutre qui ploie devant une femme... Mais d'un autre côté c'est justement car elle est une femme que je devrais ployer le genou... C'est une femme oui mais puissante, belliqueuse, c'est une meurtrière autant que moi et je connais sa valeur... L'Arbre l'a choisie, certes elle n'a pas la même valeur que moi sur un vrai champ de bataille mais elle m'a montré sa force face aux créatures du Fléau. Je le sais. Je l'ai vu. Je l'ai presque maudite pour ça tant son côté gamin irréfléchi contrastait avec ses capacités contre le Fléau. Et puis elle a été mon amante, peut-on battre son amante ? Elle n'est pas ma femme, encore moins ma fiancée, nous ne nous sommes rien promis, nous ne nous sommes même pas revu et personnellement je n'y comptais pas. Je n'y ai même pas pensé. On s'est donné l'un à l'autre parce que la situation s'y est prêtée, parce que notre colère l'un pour l'autre s'est mue en une pulsion salvatrice. C'était bon, c'était irréfléchi et passionnel. Ca ne se reproduira sans doute jamais. Elle est ici pour les même raisons que moi, pour se battre, pour prouver sa valeur...! Elle vient de me le montrer, elle vient de m'attaquer, sans crainte, sans hésitation, et elle a frappé où ça fait mal sans me regarder... Elle veut en finir aussi vite que moi, elle n'a pas peur et se pose sans doute moins de questions que moi en cet instant... Il faut en finir avec tout ça, c'est le dernier combat, après, le tournoi sera fini et plus jamais je ne participerais à ce genre d'évènement... Anay a raison, tout ça n'est qu'une vaste mascarade ! Aller, lève-toi ! lâcha-t-il finalement à haute voix alors qu'il lançait une nouvelle boule de feu sur le corps étendu

Mais Eleanor ne pouvait se relever. Dans sa confusion, sa colère, sa rancœur et son égo pulsant et déterminé contre tous, il avait indubitablement réduit à néant les chances de l'acrobate...

Lorsqu'il l'eut compris, il lança un cri rageur et puissant avant de se tourner vers le roi, brandissant son sceptre vers lui.

- Soyez maudit ! lança-t-il puissamment sans se rendre compte de la portée de ses mots à l'encontre d'un roi Voici donc votre œuvre ! Votre spectacle ! Nous ne sommes pour vous que des bêtes de foire conduite à l’abattoir une fois leur essence vidée ! Je maudis le jour où je me suis inscrit à ce tournoi abérent ! Les élus ne sont pas des bouffons pour votre divertissement ! Le Fléau se regroupe, et voici que débute ma garde ! Jusqu'à ma mort, je la monterai ! Je ne pourrais prendre femme, ne tiendrai terres, n'engendrerai ! Je ne porterai de couronne, n'acquerrai de gloire ! Je vivrai et mourrai à mon poste ! Je suis l'épée dans les ténèbres ! Je suis le veilleur au rempart ! Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l'aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur des royaumes humains ! Je voue mon existence et mon honneur à la lutte contre le Fléau, je les lui voue pour ce jour comme celui-ci et comme pour tous les jours à venir !

Rouge de colère, une gerbe de feu traversa alors les airs depuis la crosse de son sceptre, éclatant d'une lumière rouge et or dans le ciel d'azur. Il n'attendit pas de réponse et se dirigea vers les portes de l'arène qu'il ouvrit d'une nouvelle boule de feu. Personne ne l'en empêcha, personne ne le pouvait...

Il se moquait bien du titre, il se moquait bien de la gloire, de l'or, et de tout ce que le roi avait promis... Une promesse raisonna à lui comme la nouvelle valeur qu'il suivra désormais.

La lutte contre le Fléau sera son seul chemin et jamais il ne s'écartera de cette route.

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