- Je ne comprends vraiment pas pourquoi on est venus ici ... maugréa Dahn, assis sur sa pierre, coude sur les genoux et menton dans ses mains.

« Parce qu'il faut que je bosse, mon grand. Contrairement à ce qu'il n'y parait, Élu n'est pas mon activité principale, je te rappelle. Je dois miner pour Rufus. Il s'est dégoté un nouveau forgeron partenaire pour vendre ses minerais. »

- Mouais ...

Dahn était d'une humeur massacrante. Il avait tenu à ce que je commence mon apprentissage dans la taille et la sculpture sur bois, comme nous avions presque tous les matériaux nécessaires, et j'avais tenu à ce que nous sortions un peu de la foule de la capitale pour le faire. Il était d'une humeur massacrante, il n'avait toujours pas de réponse à sa lettre pour Amorine.

« De quoi tu te plains ? L'air est vivifiant, il fait calme et personne ne nous dérangera. C'est l'endroit parfait ! »

Il soupira bruyamment, comme un amoureux transis. Non, pas "comme". Il était un amoureux transis.

- Mouais ...

J'avais beau avoir le dos tourné en train de pioche contre la paroi, je pouvais presque entendre la suite de ce mouais très convaincu : "...mais ici, je ne pourrais pas recevoir de réponse d'Amorine".
J'allais être d'un piètre réconfort, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il fallait dire pour apaiser un peu son cœur. Lui faire garder espoir n'était peut-être pas judicieux car l'absence de réponse était aussi claire et explicite qu'une réponse, à mon sens, mais agir et lui dire qu'il se retrouvera bien vite une nénette avec qui batifoler serait minimiser les sentiments qu'il pouvait avoir pour elle. Tout ce que je pouvais faire, et qui était sans danger, c'était d'être tout simplement là pour lui, et tenter de lui changer les idées. Raison majeure pour laquelle j'avais accepté ses enseignements empressés.

Des gravats tombèrent, et du cuivre avec ça. Non mécontent, je m'installais à ses côtés à l'entrée de la mine et m'en grilla une, comme récompense.

« Allez, mettons-nous au travail. Parle-moi donc des armes d'Élus que tu sculptes. »

Au moins, ma demande eut le mérite de lui décrocher un léger sourire, et une étincelle dans son regard.

- Pour une fois que tu demandes spontanément ... , il changea de position pour une plus confortable, mettons-nous au travail, il y a tant à dire avant de réellement pouvoir sculpter.

Démarra alors un cours intensif durant lequel il m'expliqua qu'il sculptait principalement des bâtons, sceptres, baguettes et arcs en bois. J'appris alors la différence entre ces trois armes à priori destinées aux mages et acolyte, et j'avais opté dans un premier temps pour un sceptre. Dahn, lui, voulait me voir m'orienter vers des baguettes et un long débat s'en était suivi. Au combat, j'avais très vite remarqué que mes boules de feu, bien que très pratiques et meurtrières, consommaient beaucoup de mon énergie et il me fallait un temps pour récupérer et pouvoir en lancer une nouvelle. Ce temps, bien trop long, était un handicap dans le feu de l'action car les créatures qui m'opposaient n'attendaient pas gentiment que je reprenne des forces pour attaquer. Plus d'une fois, je m'étais retrouvé à attaquer dans la mêlée avec mon bâton de bois. Ainsi, selon moi, le sceptre qui semblait long et lourd, m'offrait la meilleure opportunité de défense et d'attaque de par sa conception. J'étais certain qu'il ferait bien plus de dommages à la cible.
Dahn n'était pas de cet avis. Pour lui, une baguette, bien qu'ayant un poids similaire, était bien plus malléable, et me permettrait de mieux de mouvoir, d'anticiper les attaques et de les esquiver. Son argument de vente était qu'au cours d'une seule attaque, j'allais être parfaitement capable de lancer une boule de feu tout en cognant ma proie. Un avantage considérable selon lui, mais pour moi, les dégâts envisages dont on parlait ne valaient pas ceux d'un sceptre.

Nous avons alors fini par trouver un compromis : ma première arme d'Élu serait un sceptre, et lorsque j'aurai gagné suffisamment d'expérience dans le combat, et de que je me serai habitué à cela, je passerai aux baguettes.

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- Bon, tu as compris ?

« Ouais, ouais, ça va, j'suis pas con », renchéris-je.

Je venais de décider qu'il était temps de faire une pause, et je sortis à peine de la caverne pour m'en fumer une. Les leçons de Dahn avaient pris tout le reste de la journée, le soleil était sur le déclin, et j'avais dans l'idée de miner encore un tout petit peu - juste de quoi extraire quelques minerais -, avant de partir d'ici.

« Tailler du hêtre pour le manche du sceptre, faire fondre du cuivre au préalable auprès d'un forgeron et qu'il enveloppe la partie intérieure du bâton de cette fiche chemise cuivrée afin de canaliser mon énergie et l'insuffler à l'arme, et creuser cinq renfoncements - pas trop larges, pas trop étroits - pour accueillir des yeux de dravens séchés. Et tadaaaa, un sceptre de l'initié. C'est pas bien compliqué, un demeuré y arriverait sans problème », récitais-je en écrasant ma cigarette contre la roche et prenant ma pioche à deux mains.

J'aurais cru que mon maître sculpteur et ami aurait été content de voir que j'avais prêté attention à tout ce qu'il venait de me dire et que j'avais retenu, mais au lieu de ça, il parut véritablement outré, voire vexé.

- L'art de la sculpture d'armes magiques est sacré, p'tit merdeux ! Tu crois que c'est à la portée du premier imbécile venu ? Tu crois que n'importe qui peut le faire ? Pourquoi j'me suis emmerdé à t'apprendre ça, alors ? Mais quel ingrat ! Aucun respect pour mon travail ! Rhaaa, je savais que tu préférais Rufus, je m'en étais toujours douté, mais là, que tu l'avoues ...

Quoi ?! Hein ? Mais comment la conversation en était arrivé à ce stade ? Je n'avais jamais dit que je préférais Rufus à lui ... Ils étaient les deux seules vraies personnes sur lesquelles je pouvais compter, je n'osais imaginer comment aurait tourné ma vie sans eux.

« P'tit merdeux ? » répétais-je dans un sourire amusé, toutefois incrédule sur ce que je venais d'entendre.

- Ouais ! Tu mérites que je te laisse à ton sort et que je rentre seul !! fulmina-t-il, croisant les bras sur sa poitrine d'un air boudeur.

J'éclatais de rire en portant un grand coup de pioche contre la roche. La perspective de le voir partir tout seul et descendre ces montagnes sans mon aide était littéralement impossible, et je savais très bien que jamais il n'y arriverait. Il était trop froussard pour ça.

« Oh, mais je t'en prie. Fais-toi plaisir. Tu es libre d'aller et venir comme tu l'entends, Dahn. Ne m'attends pas pour rentrer à Arswalt. Enfin, si tu te sens le courage d'affronter toutes les créatures de la nuit qui s'éveillent dans ces hauteurs, bien entendu. »

J'arrachais un énorme morceau de pierre, et je me reculais pour ne pas me le prendre sur les pieds. Écroulé au sol, il éclata en plusieurs gros morceaux. La roche était friable. D'un mouvement de main gantée, je retirais les plus gros morceaux - les inutiles - et eut la surprise de découvrir trois gros morceaux de cuivre.
Derrière moi, Dahn bredouilla quelques mots.

- Pfff. Non, ça va. Je reste.

Dans un sourire plus amusé que jamais, je me félicitais que cette bonne blague remette les compteurs à zéro : ainsi, il avait payé ses moqueries concernant Alarick.
Je ramassais les cuivres et les ajoutais à mon sac. D'un clin d'oeil, je posais ma main sur l'épaule de mon ami, l'invitant à se lever et à quitter les montagnes célestes.

« Rentrons à la capitale, veux-tu ? Tu pourrais avoir une réponse d'Amorine, et moi, je vais aller mettre le plus pur de mes cuivres à fondre comme tu me l'as dit. Le sceptre est bientôt à ma portée, pas vrai ? »

- Hmm moui. Il nous manque encore quelques yeux de dravens, en fait ...

Je me mordis la lèvre. Combattre ces créatures de la nuit ne me dérangeait pas, j'en faisais du corbeau grillé sans le moins problème. En revanche, cela signifiait retourner à Istralis et par le Fléau, je n'avais vraiment pas envie de me souvenir des derniers événements qui s'y étaient déroulés ...

« Aucune chance d'en trouver dans le quartier marchand, j'imagine ? » tentais-je malgré tout.

- Oula, si, très certainement. Mais ils sont rares, et coûtent la peau du cul pour les Élus. On a plus de chance d'aller les prélever nous-mêmes ...

C'était bien ma veine. Poussant un soupir qui en disait bien plus long que tout ce que j'aurais pu formuler, j'acceptais mon sort, et prit la direction de la capitale avec Dahn.

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