Mashoga grandit aux côtés de son aimée soeur, Shishigo. Sans l'ombre d'un doute, leur relation était fusionnelle. Cela commença lorsqu'ils partagèrent le ventre de leur mère. En grandissant, ils oeuvrèrent à dissiper leurs différences jusqu'à se ressembler. Il devint dès lors difficile, voire même impossible de les distinguer, même pour leurs propres parents. Avec du recul, il est évident que cela contribua grandement à forger celui qu'il était désormais. Il était naturel chez Mashoga de ne pas figer son identité, et ce depuis sa plus tendre enfance.
Qui plus est, leur ressemblance ne s'arrêtait pas qu'à l'apparence. Ils partageaient les mêmes idéaux et les mêmes principes. Cette union si particulière d'un frère et d'une soeur fit naître chez l'un et l'autre une identité qui transcendait la nature même de l'humanité. Jamais il ne considéra qu'ils étaient différents ou comme il était coutume de penser, deux genres opposés. Leurs puissants liens brisèrent cette distinction pour établir un équilibre parfait, en d'autres termes un nouveau genre harmonieux.

Très vite leurs désirs portèrent sur ce que la nature pouvait porter de plus beau. Leur existence était la preuve que la beauté n'était pas brute ni même naturelle. Ils avaient conscience que la beauté provenait de la nature, certes, mais celle-ci ne surgissait pas d'elle-même. La beauté devait s'édifier, tout comme eux l'avaient fait. Ils comprirent que la beauté ne se donnait pas, elle se sculptait petit à petit. C'est pour cette raison qu'elle était fragile. Cet équilibre à tout instant pouvait se briser. C'est cette fragilité qui lui donnait toute sa valeur et qui faisait de la beauté une vertu. La vertu n'était pas innée, il fallait l'acquérir. Et même une fois acquise, celle-ci pouvait se perdre. Mashoga et sa soeur portèrent un culte à cet idéal qui se développa avec le temps. Ils ne recherchèrent plus seulement la beauté, mais aussi la justice et le bien. Toutes ces grandes vertus avaient pour similitude ce juste milieu. La justice ne pouvait être figée sans quoi elle devenait paradoxalement injuste. Il lui fallait sans cesse s'adapter pour garder ses valeurs.
Mashoga devint donc un maître dans l'art de l'adaptation.

Ils ne grandirent pas dans le luxe, ce fut même le contraire. Sa famille habitait une petite cité à l'Est du désert Véhément. Cependant, ils furent bercés par les histoires du passé. Durant des années, leur mère leur raconta chaque soir ce que fut leur cité jadis. Elle la leur décrivit comme étant splendide. La grandeur de la cité n'avait d'égale que sa lumière. Toutefois Mashoga ne pouvait que l'imaginer, car la réalité était tout autre à ce jour. Il ne douta pourtant pas un seul instant qu'elle pouvait être belle, comme pouvait le décrire sa mère. Depuis longtemps maintenant il avait réalisé que la beauté et la grandeur d'une chose devaient se construire. Il était vain et illusoire d'attendre qu'elles surgissent d'elles-mêmes. Il avait réussi à devenir celui qu'il voulait être. Il avait également réussi à extraire la beauté qui était en lui. En quoi cela serait-ce différent avec cette cité idéale que lui décrivait sa mère depuis toujours ? Et c'est ainsi que la famille Kunyonya allait inéluctablement changer l'avenir de la cité dans laquelle elle vivait.


Lorsque Mashoga eut onze ans, toute sa famille se réunit. Ne vivant pas dans l'abondance, ils mettaient un point d'honneur à appliquer les bonnes manières d'antan. Il possédait également une domestique mais celle-ci travaillait pour eux de son plein gré. Elle ne réclamait rien d'autre que de les servir en échange d'un repas et d'un lit dans lequel dormir. Si elle vivait ainsi c'est parce qu'elle partageait leur rêve de voir leur cité retrouver sa splendeur d'antan. Tel était justement le sujet de cette réunion.

Aucun visage ne trahissait l'impatience de chacun. Mashoga avait été éduqué à rester de marbre. Il lui fallait en permanence refléter sa bonne éducation. La réunion se faisait à la lumière des bougies qui faisaient danser les ombres sur leur visage. Tout le monde attendait que la mère prenne la parole, même la domestique qui se tenait discrètement dans un coin de la pièce, prête à les servir au moindre signe.

« Nous rêvons tous d'une même chose ! Déclara-t-elle. Notre famille est digne d'incarner le rôle qui lui revient. Nous vivons pour des principes oubliés depuis voilà trop longtemps. » Mashoga approuva d'un hochement de tête. « Il est grand temps d'agir comme le dit si bien la devise ancestrale de notre famille : Agissons, oeuvrons vers cet absolu. Les enfants, dit-elle en les fixant tour à tour. Vous n'avez jamais connu cette cité qui brillait de mille feux. Vous n'aurez plus à souffrir de cette injustice car nous allons édifier l'avenir, ensemble. »

Il n'y eut aucune réaction à ce discours. Pourtant ils ressentirent tous cette flamme les dévorer avec force. Même Mashoga pouvait ressentir ce feu le dévorer et qui alimentait aussi bien ses convictions que sa détermination.

« Ne connaissons l'origine de tous ces maux. De mauvaises personnes sans la moindre valeur manquent à leur tâche. Plutôt que de guider notre cité, ils l'anéantissent. La beauté de notre belle cité a été dévorée et ruinée par l'égoïsme et l'avarice. C'est à nous de restaurer les traditions d'antan. Vous ne savez que trop bien qu'il ne suffit pas d'attendre et qu'il nous faut agir par nos propres moyens. »


Depuis ce jour, ils vécurent différemment. Mashoga et sa soeur reçurent une nouvelle éducation, inconnue jusqu'alors. Visant l'avenir de leur cité, ils ne lésinèrent pas sur les efforts. Chaque jour, ils étaient formés afin que leur cité puisse un jour retrouver tout ce qu'elle avait perdu.

Après plus de trois années arriva enfin le moment tant attendu où frère et soeur furent prêts. L'ascension de leur famille ainsi que de la cité allait pouvoir débuter. Alors tous leurs rêves pourraient ainsi renaître et devenir réalité, non plus seulement une image appartenant au passé. Ils furent alors habillés et équipés pour l'occasion. Ils savaient ce qu'ils avaient à faire et n'éprouvaient aucune crainte. C'est au milieu d'une sombre nuit que l'ascension vit le jour.


Monsieur et madame Driolart contrairement à leurs voisins, vivaient dans une maison charmante et richement décorée. Ils n'avaient pas d'enfant et il y avait une raison bien précise à cela. C'est qu'avoir un enfant coûtait une véritable petite fortune. Alors imaginez s'ils avaient eu plusieurs enfants ! D'après eux, il y avait des priorités dans la vie et les pièces d'or en étaient une. Pour dire autrement, ils ne vivaient que pour amasser la plus grande des fortunes. Et pour ce faire, ils n'hésitaient pas à marchander avec des personnes peu fréquentables. Un jour, il y a bien de cela plusieurs années maintenant, une mère et son enfant avaient frappé à leur porte, faisant la charité. Ils les accueillirent aimablement, leur apportant de quoi les faire passer pour des âmes pures et généreuses. Cela ne dura qu'un temps et et ce fut vraiment très bref. Car la mère et son enfant furent emmenés à Beldine où ils furent vendus comme esclave. Ils étaient repartis avec une bourse bien remplie. En même temps les enfants se vendaient toujours chers.

Un soir, on frappa de nouveau à leur porte.


« Regarde chérie, des enfants devant chez nous, annonça Monsieur Driolart à sa femme. Venez, entrez ! » Il s'écarta et laissa les enfants passer. Deux filles ou bien deux garçons, peut-être une fille et un garçon. Il était incapable de les identifier. Ce n'était pas un problème et bien au contraire. Cela allait probablement plaire à ces messieurs de Beldine. Ces enfants-là devaient avoir entre treize et quinze ans. Malgré leur pauvre tenue, ils ne semblaient pas chercher l'aumône. Mais peu lui importait ce que deux enfants venaient faire chez lui.

La femme arriva, traitant une longue robe derrière elle. Sa robe était beaucoup trop ample pour elle. Mashoga la jugea d'un rapide regard mais cela lui suffit à déceler son manque d'élégance. Elle vint jusqu'à eux, jouant de ses airs faussement maternels.

« Mes pauvres, venez vous réchauffer... Dîtes-moi, vous avez perdus vos parents ? Vous êtes seuls ? Peu importe, venez vous réchauffer vous dis-je, j'insiste. »

Elle n'eut pas à insister en réalité, car une lame vint lui trancher la gorge sans même qu'elle ne vit l'éclat de celle-ci. Elle porta ses mains à son cou. Elle était semblable à un animal qui agissait par pur instinct de survie, son humanité n'était qu'apparente. Shishigo avait été rapide, elle avait toujours été la plus rapide durant leurs entraînements. Mashoga ne resta pas planté sur place à la regarder. Il se glissa derrière l'homme avant que celui-ci ne crie et lui planta sa lame dans la nuque.

Pour une première ils estimèrent que le travail avait été fait avec propreté. Ce jour-là, Mashoga prit conscience de l'exutoire que cela représentait pour lui. Cela avait été fugace mais il était certain d'avoir ressenti la sauvagerie profondément terrée en lui et se sentit bien. Les choses évoluaient enfin et son idéal se construisit dès cet instant.


Les excursions nocturnes venaient seulement de débuter. La liste de ceux qu'ils devaient éliminer était longue, mais cela était loin de déplaire au jeune homme. Ils rencontrèrent parfois quelques difficultés, surtout lorsque les meurtres se firent connaître. Les familles riches prirent des gardes pour se protéger. Mais à deux, le travail était simplifié et ils jouèrent beaucoup de leurs apparences pour se jouer d'eux. Ils avaient l'air si calme et fragile qu'on ne pouvait les soupçonner. Et à peine avaient-ils un soupçon qu'il était généralement trop tard.

Il ne vint jamais à l'esprit de Mashoga qu'il se salissait les mains. C'était bien le contraire. Il avait le sentiment de purifier sa cité et d'éliminer ceux qui n'avaient pour dessein que de nuire. Peu à peu, la cité redevint ce qu'elle était. Avec le temps, la famille Kunyonya prit sa place au sein de la cité. Elle gravit les rangs jusqu'à détenir les ficelles. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'on vit renaître toute la splendeur de la cité. Et voilà que Mashoga et les siens possédaient enfin le rang qui leur était dû. Il avait alors seize ans lorsque son idéal rayonnait pleinement. Ils cessèrent, lui et sa soeur, toute activité criminelle car dorénavant, leur famille avait le pouvoir d'agir non plus dans l'ombre mais à la lumière de la justice, du bien et de la vertu. Le jeune homme obtint une place en diplomatie, secondant sa mère jusqu'au jour où lui et Shishigo allaient se partager la gestion de cité accomplie.