C'est à Hautmont, une petite bourgade des campagnes hivryssiennes appartenant à un seigneur dont Iain n'a jamais pu retenir le nom, que sa mère l'a élevé à l'abri des regards, dans une chaumière quasi délabrée. Puisqu'elle lui rabâchait sans cesse qu'il lui gâchait la vie - et il fallait dire qu'elle avait raison : qui voudrait épouser une fille à l'honneur souillé par la naissance d'un bâtard ? - et qu'elle ne pouvait subvenir à leurs besoins primaires à tous les deux, l'enfant qu'il était a du très tôt se retrousser les manches et effectuer quelques petits travaux dans la ville pour glaner quelques piécettes, et ce fut sa routine jusqu'à ce qu'il devienne un beau jeune homme.

Constamment rabaissé par sa mère, conspué par les villageois, Iain était le chat noir de Hautmont. Alors, quand la fille du seigneur s'est intéressé à lui, un jour où elle se promenait et qu'il l'eut aidée à ramasser un mouchoir lui appartenant tombé du haut de sa monture, il considéra qu'il s'agissait de son jour de chance et il avait la conviction profonde que cette rencontre allait le marquer à vie. Il tomba désespérément amoureux de son sourire, de sa chevelure, de sa silhouette gracieuse. Elle s'appelait Lucia.
Grâce à d'ingénieux stratagèmes, il se fit embaucher comme aide-cuisine et maître-chien dans la maisonnée de Lucia. Sa mère était ainsi satisfaite de le voir revenir avec un salaire décent, et lui, heureux de pouvoir passer quelques nuits avec son aimée. Elle le ravissait par ses charmes et lui offrait son corps et son âme chaque nuit au point où Iain éprouva très vite la certitude qu'à ses côtés, il avait trouvé le bonheur. Nul avenir ne serait plus radieux si ses rêves devenaient réalité.

Iain filait le parfait amour et ne pouvait être plus heureux. On commençait à oublier qu'il était un bâtard, lui-même oubliait sa condition et d'où il provenait, jusqu'à ce que le destin le lui rappelle brutalement. Un fils de seigneur s'annonça aux portes du domaine et fut cordialement invité avec toute sa suite. Il fut alors révélé que depuis l'enfance, Lucia et lui étaient liés d'un contrat de mariage qui aurait bientôt lieu. Il était devenu clair à présent aux yeux de Iain que son aimée s'était jouée de lui. De colère et d'une profonde tristesse, il n'écouta pas sa raison et défia le jeune seigneur dans un duel à mort, où la récompense était l'amour de Lucia. Bien mal lui en avait pris, par tous les dieux païens ! Il n'avait jamais appris à se battre, et n'avait pas l'ombre d'un rudiment au combat. Jouant alors de tous les atouts que la nature lui avait donnés, Iain parvint à prendre le dessus en enchaînant les esquives pour fatiguer son adversaire. Quand l'occasion fut trop belle pour la manquer, il mit à mal le seigneur et en sortit vainqueur. Au moment de porter le coup fatal, Lucia se jeta aux pieds de Iain, lui supplia de lui laisser la vie sauve. Comprenant que la vie de cet homme à qui elle était destinée importait plus que son amour, il céda et se retira.

Au soir, en rentrant abattu dans le taudis qui lui servait de maison, Iain avait deux certitudes : il n'avait pas été choisi parce qu'il n'était rien en comparaison de ce seigneur et qu'il n'avait pas été choisi par Lucia parce qu'il n'était pas fin bretteur; et le chien du domaine avec lequel il était parti était bien plus fidèle et reconnaissant des bons traitements que Iain lui avait prodigué, qu'une femme qu'il avait sincèrement et inconditionnellement aimé.
A l'aube, il décida que Hautmont n'était plus un endroit pour lui. Il ne pouvait plus supporter les railleries et les invectives maternelles, sans compter qu'il n'aurait pas supporté d'assister aux réjouissances du mariage seigneurial. Il plia bagage et se dirigea vers le nord, ne s'arrêtant qu'aux grandes villes pour gagner un peu d'argent en pariant et jouant aux cartes dans les tavernes, et dilapidant sa bourse en chambres et plaisante compagnie.
Sa routine était la même : il arrivait dans une nouvelle ville puis passait la journée dans la taverne la plus bondée. Il noyait son chagrin dans l'alcool, tout en dépouillant les plus saouls que lui aux dés, et terminait la nuit dans les draps chauds d'une demoiselle. Pas toujours des prostituées d'ailleurs, nombre de fois il s'agissait de jeunes dames vierges qui lui offraient délibérément leur vertu pour ses beaux yeux enchanteurs.

A force de piller chaque ville des pucelages des filles de bonne réputation lors de ses séances libidineuses, les pères s'en voyaient offensés et voyaient là la perte de leur revenu futur car leur précieuse fille devenait inexploitable. Les plaintes contre Iain s'amoncelèrent tant et si bien qu'une prime fut déposée sur sa tête. Il n'eut plus d'autre choix que de s'assagir, et quel était le meilleur endroit que la capitale pour ce faire ?
Le jour de son arrivée à Arswalt, il fit toutes les échoppes et boutiques pour demander du travail. Il ne sait pas faire grand chose, mais il a le bras musclé aussi, un marchand de matériaux paie les minerais qu'il récolte. Le marchand, Rufus de son prénom, le prend en affection et parle également de lui à un ami sculpteur, Dahn, qui le prend sous son aile pour lui apprendre le métier.

Tout semble bien aller pour lui à présent, jusqu'à ce que ...  à la taverne où il s'amuse tous les soirs, Iain fasse une étrange rencontre.