Plusieurs jours étaient passés depuis qu’Alarick avait rejoint la capitale de Naggaroth. Toujours suivi d’Amorine – qui semblait agir comme si elle était son ombre mais avec une conscience – il avait bon gré mal gré appris les rudiments de tout bon élu. Son analphabétisme n’avait fort heureusement eu aucun poids sur les connaissances qu’il avait acquises. Sa non-implication en revanche, avait donnée du fil à retordre à l’enchanteresse. Mais elle avait fini par arriver à ses fins en sortant le jeune homme du Haut Lieu des Elus.

Amorine avait fini par comprendre que tout ce qui se rapportait aux bâtiments perturbaient grandement son jeune apprenti. Il avait piqué plusieurs crises – dont une particulièrement terrible qui restera gravé à jamais dans la mémoire de la pourtant vieille femme – qui avaient pu céder dès lors qu’elle le sortait de l’endroit où ils se trouvaient. Comme lorsqu’il avait tué le rat, c’était le contact de l’herbe qui avait fait sortir le jeune homme de sa torpeur.

Toujours était-il qu’Alarick avait finalement intégré les informations les plus importantes. Comme par exemple la nécessité toute bête d’avoir de quoi se sustenter alors que l’Arbre de la Vie donnait un but mais pas tellement les moyens d’y parvenir… Sauf si on était capable de vivre sans manger, ce qui était loin d’être le cas d’Alarick !

Cette partie là fut très vite trouvée pour Alarick. Et quelque part, c’était bien sa seule joie dans ce qu’il appelait « une cauchemardesque réalité ».

Il allait pouvoir continuer ses petites magouilles aussi bien qu’avant ! Quand bien même Amorine avait juré d’être toujours sur ses talons, il comptait bien mener sa vie comme il l’entendait et le braconnage, les rapines et autre grivèleries feraient toujours parti de ses habitudes. Autant Amorine n’avait – semble-t-il – rien contre ses parties de chasses, autant elle se montra courroucée lorsqu’elle le vit tirer la bourse d’un passant. Mais il la rembarra comme il savait le faire et réitéra ses larcins.

En ce beau matin, Alarick s’était réveillé aux aurores. Ils avaient récemment pris leurs quartiers dans une auberge des faubourgs de l’est, à quelques minutes à peine des campagnes arswaltiennes. C’était l’endroit idéal pour un rat des champs comme Alarick. Il était sorti alors qu’Amorine dormait encore dans le lit près du sien et était allé s’asseoir sur l’herbe humide de la rosé matinale.

L’Autre et l’Ectoplasme ne semblaient pas s’être encore réveillés et Alarick profitait du calme environnant tout en regardant le soleil levant. Mais ça ne fut que de courte durée.

Bonjour Alarick…
Oh ta gueule…! Pas maintenant ! Je suis bien là et ton pote dort encore ! Ça serait sympa de ne pas le réveiller !
Ne t’inquiète pas pour lui, il nous laissera tranquille aujourd’hui…
Ah ouais, et comment tu peux prédire ça toi ?! C’est pas un chien qu’on peut museler et attacher au piquet !
Je le sais c’est tout. Fait moi confiance, moi je veux ton bien, pas ta perte.
C’est ça ouais, on va devenir pote tous les deux et tu vas me donner tout un tas de pouvoirs fantastiques et je deviendrais le super combattant du Fléau que ton putain d’Arbre a dit que j’étais ?
Non, je ne suis qu’une entité dans ta tête, mais je vais te guider…
Si t’es qu’une putain de voix, comment tu peux me guider puisque tu ne connais rien de plus que ce que moi je sais !
C’est l’Arbre qui me guide, il t’as touché de sa grâce, il filtre à travers toi et c’est moi qui reçoit ses messages… Je suis donc tout autant omniscient que lui…
C’te blague ! Tu m’en dira tant !
N’as-tu pas senti sa force ? Tout ceci n’est donc pas réel à tes yeux ?
Ne va pas sur ce terrain ! Tu sais parfaitement que le réel n’a jamais été totalement tangible pour moi ! Même quand je mange pour rassasier ma faim j’en doute !
Alors que risques-tu de plus à me faire confiance… ?
Heuuuu ma vie ?!
Pour ce qu’elle te procure ta vie… Au moins avec moi tu ne t’ennuiera pas, tu verras tout autant de pays qu’avant et en plus tu pourras concentrer ta colère et la force qui en découle sur les vils créatures du Fléau… !
Et après…? Tu penses me débarrasser de ton pote, devenir le seul maitre à bord et faire de moi le parfait petit toutou de garde de ton Arbre sauveur de l’humanité ?!
Et pourquoi pas ?
J’en doute fort !
Ca ne te coûte rien d’essayer…
J’en ai rien à…!

Mais le fil de sa pensée s’était tue, Amorine venait d’apparaitre devant lui.

J’ai cru que tu t’étais enfuis…dit-elle dans un sourire en guise de bonjour
- Tu m’aurais vite retrouvé, si j’ai bien intégré une leçon c’est bien celle de ne pas essayer de te semer… T’es pire qu’une merde collée sur une semelle, même nettoyée l’odeur reste dans ton pif ! maugréa-t-il, lui jetant à peine un regard
- J’aurais préféré une autre comparaison mais bon, peu importe… elle s’assit à ses côtés Ça te dis de prendre la route ? On commence à s’enraciner non… ? ajouta-t-elle mutine
- Pour aller où ? répondit-il malgré lui, une étincelle presque joyeuse au fond des yeux alors qu’il avait vivement tourné la tête vers elle
- La forêt d’Istralis, ça te dit…? C’est parfait pour commencer ta réelle formation…
- Putain t’as vraiment le don pour tout gâcher toi ! exulta-t-il, se levant d’un bond
- Olala, mais c’est pas de la susceptibilité ça, c’est pire que de l’irascibilité ! dit-elle en se levant à son tour
- Ouais bin t’as voulu signer un putain de contrat sans savoir à qui t’avais affaire alors soit tu dégage, soit t’assumes !
- Se pourrait-il que tu en ai envie en faite… ? demanda-t-elle, sourcil arqué
- Rien à foutre de ta forêt ! Mais si ça peut m’éloigner de cette ville de tarés alors allons-y !
- Parfait alors ! Allons préparer nos baluchons, trouvons des montures et mettons nous en route ! conclue-t-elle rapidement, ne voulant pas plus attiser sa colère qu’elle venait de le faire

Tournant les talons, l’enchanteresse reparti en direction de l’auberge. Elle avait encore mis un pied plus loin qu’elle ne l’aurait dut… Mais elle se disait aussi que ça n’était pas si mal que de le tester un peu de temps à autre… Qu’il apprenne à mesurer sa rage et en fasse une force.

Cela ne leur prit qu’une heure pour se préparer. Amorine loua deux chevaux au bailleur équin du coin et ils prirent la route sans tarder.

Ni l’Autre ni l’Ectoplasme ne se manifestèrent durant cette première journée de voyage. Mais Alarick ne fut étrangement pas plus perturbé que ça lorsqu’ils reprirent du flambeau le lendemain. Ni le jour d’après. Voyager sans s’arrêter durant plusieurs jours lui fut autant bénéfique que de plonger la tête dans un bac d’eau froide un lendemain de cuite…

Leur arrivée aux abords de la forêt ne fit que renforcer la bonne humeur d’Alarick. Oh certes, il n’était pas aussi irascible qu’à l’ordinaire mais il ne s’était pas non plus épanché auprès d’Amorine… L’enchanteresse était resté discrète, ne posant pas plus de questions qu’elle n’aurait dut, ne voulant pas le faire vriller… Mais elle avait enfin compris une chose : le jeune homme était habité par des forces en constante contradiction qui lui faisaient perdre la tête lorsqu’il en perdait le contrôle. Elle se donna alors comme nouvelle mission de devenir le pilier inébranlable sur lequel Alarick pourrait s’appuyer quoi qu’il advienne.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans la forêt, Alarick mis rapidement pied à terre – retirant même ses chaussures comme s’il voulait faire corps avec la nature luxuriante qui les entourait. Elle ne dit mot, et fit de même – gardant tout de même ses bottines. Ils marchèrent ainsi un long moment sans rien dire. Et puis soudainement, Alarick retira son arc qu’il transportait autour de son buste et prit une flèche dans son carquois.

Le voyant faire, Amorine se stoppa net elle aussi – pensant qu’il avait repéré du gibier et qu’elle ne devait pas faire de bruit. Bandant son arc de sa flèche, Alarick se mit à avancer à pas feutrés, lentement, bloquant presque sa respiration. Il s’arrêta de nouveau, droit comme un i, leva son arc en pointant une cible qu’Amorine ne voyait pas.

Il visa, et tira. La flèche alla alors se planter dans un arbre. Y accrochant quelque chose de rouge que l’enchanteresse ne distinguait pas.

- Et merde…