Le donjon et ses péripéties était à plusieurs jours de route maintenant. Chacun de ses compagnons avaient choisi leur chemin et celui d’Uthred était celui de la capitale, accompagné de son barde qui ne laissait aucun répit au mage, le sommant de lui raconter son expédition dans les moindres détails.

C’est ainsi donc qu’Uthred fit la route, à dos de cheval, épuisant sa langue pour contenter Aurélius qui en voulait toujours plus… Mais il tenait bon, car au bout se profilait un repos bien mérité et puis, pour une fois, le ménestrel n’avait pas assisté au spectacle alors il ne pourrait qu’enjoliver les choses… Quelques jours de cheval de plus et il retrouverait ses pénates, ayant plus ou moins élu domicile dans une des cellules de la guilde de la Confrérie Conquérante qui offrait à ses membres un lit de paille.

A peine arrivé, c’est tout habillé qu’il se laissa tomber sur sa paillasse et s’endormit rapidement d’un sommeil sans rêve… Aurélius l’avait laissé aux portes de la guilde, préférant retrouver la civilisation d’une auberge de sa connaissance où sans doute l’attendait ses préférées…

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été autant épuisé. Il ne se réveilla que le lendemain, tard dans l’après-midi, ayant dormi presque une vingtaine d’heure. Il s’étira, bâilla tout son soul puis alla faire sa toilette dans les bains là aussi gracieusement laissés libre d’accès aux membres de la guilde. Il y embarqua aussi Bêlzékiel qui – à n’en point douter vu sa catégorie animalière – puait le bouc… Ce dernier fut pour le moins récalcitrant mais à force, fini par se laisser faire. Son maître était décidément bien plus fort que lui…

Sa laine gonflée d’humidité lui donnait des airs de bonbon cotonneux qui fit rire le mage qui se retrouva le cul au sol, poussé par son familier qui n’aimait décidément pas qu’on se paye sa tête… Une fois de plus Uthred fut ravi de s’être dégoté un compagnon animal qui ne se laissait pas faire comme la plus part des familiers qu’il avait croisé jusqu’ici…

Une fois tout deux propres, ils allèrent déjeuner dans la salle principale. Pain et fromage pour le mage, fourrage frais pour le cornu. C’est alors qu’une ombre plus large que haute se profila derrière Uthred, masquant la lueur déjà déclinante du soleil.

- Uthred, quel Plaisir de te revoir ! tonna la tonitruante voix du Gros Didier, chef incontesté de la guilde de la Confrérie Conquérante tandis qu’il frappait l’épaule droite du mage de son énorme paluche rose cochon, faisant sursauter Uthred qui renversa une partie de son gobelet de vin
- Salut à toi Didier… maugréa-t-il, frustré d’être interrompu dans son calme
- On m’a dit que votre donjon c’était très bien passé ! Et que tu t’es comporté en véritable chef de troupe ! Je n’en attendais pas moi de toi, surtout avec les recrues avec qui tu es parti…
- Supposerais-tu que tu as fait exprès pour tester mes capacités de meneur… ? fit Uthred tout en se retournant vers son chef, le regard inquisiteur
- Evidemment ! Le donjon des Grandes Portes est l’ultime épreuve que tout élu se doit de passer avant de continuer son aventure plus au sud ! Je ne doutais pas de tes capacités de mage, aussi ai-je voulu voir si tu étais capable de mener des subalternes moins entraînés que toi… Il parait que vous avait fait des miracles ! Un barde excentrique clame votre bravoure dans une taverne du coin… Je me demande comment il en sait autant, mais je suis certain qu’il parle de vous ! Un mage à la chevelure d’argent, un acolyte masqué, un jeune acrobate et un archer taciturne… C’est qui d’ailleurs ce type, il ne fait pas parti de la guilde ! Tu dois me le présenter !

Uthred se renfrogna un peu sous tous ces palabres et questions. Il se leva d’un bond, prêt à déguerpir pour avoir un peu de tranquillité.

- Le barde est mon ami Aurélius, je lui ai raconté notre exploration car il voulait à tout prix en faire une chanson épique. Quant à Alarick, l’archer dont tu parles, c’est Mélaskholès qui l’a emmené. C’est un bon combattant mais je te déconseilles de l’approcher, c’est un solitaire, un peu fou du reste. Il est mieux seul que dans une guilde, il sèmerait la zizanie, mauvaise idée. répondit rapidement Uthred avant de finir cul sec son gobelet pour s’apprêter à partir

Mais le Gros Didier ne l’entendait pas de cette oreille.

- Attend attend ! J’attendais ton retour avec impatience car j’ai un autre travail pour toi ! Maintenant que je suis sûr de ta valeur, j’aimerais que tu t’occupes d’une toute nouvelle recrue.
- Non merci, je n’ai pas le temps pour ça… il siffla Bêlzékiel qui accouru dans un bruit de sabot claquant sur les dalles de la pièce
- Ne dis pas n’importe quoi, après ce donjon tout ce à quoi tu aspires est le repos !
- Et tu me propose donc de me reposer en m’occupant d’entraîner une nouvelle recrue ? Drôle de conception du repos !
- Ah ah ! Oui en effet, ça peut paraître antagoniste mais écoute ! Cette nouvelle recrue est une toute jeune fille, elle a peine seize ans. L’Arbre l’a promue mercenaire mais la pauvre péronnelle n’a jamais tenu une épée de sa vie… Son corps est frêle et cassant comme de la paille et son esprit surpris par ce qui lui arrive la rend apeurée… C’est sa famille qui l’a conduite jusqu’à moi, guidé par la renommée de notre guilde. Il me l’ont confiée aussi je te la confie à présent !
- C’est à toi qu’ils l’ont menée, pas à moi, démerde toi ! se défendit le mage, bien décidé à rester seul pour le moment
- Que veux-tu que je fasse d’une donzelle pareille ?! J’ai tout une guilde à gérer ! Tout un tas d’élus à chaperonner ! Tu as été instructeur d’armée dans ton ancienne vie non ? Alors c’est à toi que revient la charge de former son corps et son esprit ! Commence par l’esprit ! Explique lui les rouages du métier d’élu. Quand son esprit sera apaisé, tu entraîneras son corps ! Et c’est un ORDRE ! Tu as intégré cette guilde, j’en suis le chef, ton supérieur hiérarchique donc tu obéis !

Maugréant pour la forme, Uthred se résigna… Il avait toujours respecté sa hiérarchie, et le Gros Didier le savait bien… Ce dernier lui fit donc un signe de la main pour l’enjoindre à le suivre dans les quartiers de sommeil de la guilde. Là, ils prirent le couloir des femmes et entrèrent dans l’une des chambrée.

La pièce était moins spartiate que celle d’Uthred, il y avait des tentures à la fenêtre, le matelas semblait être remplit de plumes et non de paille, et la donzelle disposait de tout ce qu’il fallait pour faire sa toilette en toute intimité.

- Uthred, je te présente Aliénor ! Tu remarqueras une similitude qui m’a encore plus poussé à te choisir comme instructeur, l’Arbre vous a donné la même mutation, marrant non ?

Sous son regard doré apparu alors une frêle jeune fille à la chevelure de lune et aux grands yeux ambrés, brillant de la même étincelle dorée que ceux d’Uthred.

Ecarquillant les yeux, il resta coi devant cette jeune fille qui rougit d’être ainsi observée, détournant le regard. Une main plaquée vigoureusement sur son épaule le fit sursauter et revenir à la réalité.

- Bon ! Je vous laisse faire connaissance ! Uthred, je te demande de me rendre compte des avancées d’Aliénor chaque semaine ! Mais ne va pas trop vite non plus, le but est de l’aider, pas de la mettre sous pression ! Prend ton temps ma belle, tu es encore très jeune, mais tu verras, tu deviendra une guerrière émérite ! J’ai toute confiance en Uthred, il était un brave guerrier avant que l’Arbre n’en fasse un mage…
- Moi je voulais être acolyte… murmura alors la jeune fille, faisant entendre doucement sa petite voix d’adolescente qui combat sa timidité
- Ah bin tiens, un autre point commun ! Tu n’as pas eu la classe que tu voulais toi non plus Uthred, tu voulais être mercenaire non… ?

Le mage lui répondit par un regard assassin et retînt un grognement qui fit rire le Gros Didier avant qu’il ne fasse un signe de la main et tourne les talons, les laissant là.

Retournant lentement son regard vers la jeune femme, Uthred ne put s’empêcher de soupirer, passant une main dans ses cheveux.

- Bon, et bien, il semblerait que nous soyons coincés tous les deux…

Il traversa la pièce à grand pas, attrapa la chaise face à la coiffeuse et la fit glisser devant la jeune fille – qui était assise sur son lit – avant de s’y laisser tomber. S’appuyant sur ses bras – coudes posés sur ses cuisses – Uthred fixa Aliénor droit dans les yeux.

- On va faire ça simplement. Tu écoutes et si t’as des questions tu lèves la main pour que j’arrête de causer. Compris ?

La jeune fille recula un peu dans son lit – allant coller son dos au mur dans une attitude presque apeurée – en hochant vivement la tête. Soupirant face à sa réaction, Uthred se redressa mais ne changea pas pour autant son comportement.

Frustré qu’on lui impose ainsi l’instruction d’une gamine, il ne voulait pas y aller par quatre chemins. Il savait que celui-ci serait long, qu’il allait sans doute mettre des années à forger le corps et l’esprit de cette jeune fille qui n’était en rien taillée pour la classe des mercenaires… Une fois encore, il jura contre l’Arbre facétieux et irritant, qui jouait avec les destins comme un gosse avec une fourmilière… Enfin, la gamine n’avait rien demandé – tout comme lui du reste – alors autant essayer de créer de bonnes bases…

Alors qu’il commença son instruction par l’histoire de leur île et de l’Arbre de la Vie, son ton se faisait de moins en moins vif. Il se prenait au jeu du compteur – s’inspirant grandement des frasques de son ami Aurélius – et narra de bout en bout la grande histoire. Le soleil était couché depuis longtemps lorsqu’il eut fini, et la jeune fille bien qu’encore éveillée s’était pelotonnée dans ses draps de coton comme un gosse qui écoute le conte du soir.

S’étirant alors, Uthred prit congé en lui disant qu’ils iraient en Istralis dès les premières lueurs de l’aube. Elle devait se munir de vêtements de voyage, ils passeraient par le marché pour des victuailles et autres objets dont elle découvrirait l’utilité en temps et en heure.

- N’oublie ni ton épée de bois ni ton casque surtout ! lui dit-il en guise de bonne nuit avant de quitter la cellule

Il dut par la suite parcourir tout le bâtiment à la recherche de son cornu qui – fatigué d’attendre son maître – était aller caracoler plus loin. Il le retrouva dans l’écurie à manger le grains des chevaux qui s’étaient agglutinés dans un coin, apeurés par la bête à cornes à fort caractère…

Ils sortirent tout deux se dégourdir les jambes, Uthred mangea dans une auberge puis il rentrèrent à la guilde. Il rêva de bien de choses dont il ne se souvînt pas à son réveil et fit son paquetage. Toquant à la porte de le jeune fille, il fut surprit de la voir prête, en vêtement de voyage, une expression résignée mais pas de mauvaise fois sur le visage.

Ils prirent leur petit déjeuner – silencieusement – et rejoignirent le marché. Là, Uthred rempli leurs sacs de provisions qui se conservaient bien dans le temps puis bifurqua dans l’allée des artisans. Parcourant rapidement les étales à grandes enjambées, il s’arrêta devant celui d’un revendeur de forge. Là, il demanda à voir les haches et merlins, demandant un outil le plus léger possible, expliquant que c’était la donzelle à ses côtés qui allait le manier. Son choix se porta sur une hache courte dont la lame effilée ne pourrait pas tailler de tronc mais se révèlerait efficace pour couper branches et branchages.

- Ce sera ton premier entraînement. Le bucheronnage est un sport complet, qui fait travailler et se renforcer tous les muscles, pas seulement les bras ! Tu dois jouer de ton dos et de tes jambes pour ne pas adopter de mauvaise postures et ne pas te blesser. C’est aussi une bonne manière de se faire de l’argent, tout le monde a besoin de bois. expliqua-t-il à Aliénor qui semblait surprise du cadeau

Mais la jeune fille sembla satisfaite des explications, ne posant aucune question, et suivit son désormais tuteur jusqu’à la sortie de la ville. Là, ils louèrent des chevaux pour deux semaines et se mirent en route pour l’est et sa forêt verdoyante…

Uthred avait hâte d’y retrouver sa moiteur et son odeur… Bêlzékiel qui s’était fait discret jusque-là, courrait devant eux comme s’il voulait battre le vent à la course… !

Les hautes cimes d’Istralis apparurent à l’horizon au bout de trois jours de voyage. Le silence avait fini par se rompre alors que la jeune fille avait fini par poser ses questions au mage.

En fait, elle en avait par dizaines, des plus classiques – comment lutter efficacement contre le Fléau ? – aux plus profondes – et si je n’étais pas digne ? Uthred s’appliqua à répondre à chacune, aussi clairement que possible, aussi détaillé que possible. Il la rassura aussi, grandement, lui expliquant que beaucoup d’élus étaient passés par là et que tous avaient réussi, guidé par l’Arbre de la Vie qui ne se trompait jamais. Prenant sur lui, il lui avait même parlé de sa propre expérience…

Devenu élu depuis quelques mois seulement, à l’orée de ses trente-quatre ans, déjà vieux d’une certaine expérience de la vie et d’une carrière de garde toute tracée, l’Arbre lui avait fait un sacré pied de né en le nommant mage… Mais il avait accepté son sort, lui qui se voyait mercenaire avait découvert en la magie bien plus de choses qu’il ne l’aurait cru… Il s’était pris au jeu – bien malgré lui – et commençait à apprécier cet art délicat et redoutable… Bien sûr, le corps à corps lui manquait, mais il expliqua s’y adonner dès que ses cibles le lui permettait, assénant de puissants coups de la crosse de son sceptre qu’il avait fait tailler en conséquence. Et il y trouvait son compte…

- Avoir été choisi par l’Arbre de la Vie est un cadeau magnifique… Tu es certes encore jeune, et pleine de peur, j’en suis conscient, mais je te promet que sous mon aile, il ne t’arrivera aucun malheur… Bien sûr tu tomberas au combat ! Comme beaucoup avant toi, moi-même j’en ai fait les frais… Mais tu te relèveras toujours plus forte ! C’est pourquoi il faut forger ton corps le plus tôt possible. il lui fit un sourire rassurant et descendit de cheval, ils venaient d’arriver à l’orée de la forêt

Prenant les chevaux par les rênes, ils continuaient d’échanger en traversant les bois jusqu’à la clairière de prédilection d’Uthred. Là, poussaient d’immenses hêtres qu’il bucheronnait un à un avec patience. Il avait terminé de tailler le dernier arbre coupé, aussi s’attela-t-il à en faire tomber un nouveau.

Silencieux, il n’ouvrit la bouche que pour avertir Aliénor de se pousser. La jeune femme qui avait déjà sa hache en main ne se fit pas prier pour rejoindre son désormais mentor. Là, devant le tronc abattu, il lui enseigna les positions à adopter pour ne pas se faire mal au dos. Il lui indiqua quelles branches couper pour s’entrainer tandis que lui-même s’attela à débiter le gros du tronc. Non loin d’eux Bêlzékiel s’était mit à paisser tranquillement en compagnie des chevaux laissés en liberté.

Surveillant du coin de l’œil la jeune fille, Uthred ne put s’empêcher d’intervenir alors qu’elle se tordait dans tous les sens.

- Non non non ! C’est le meilleur moyen de te péter le dos ça ! lâcha-t-il abruptement tout en s’approchant d’Aliénor pour se coller à son dos et prendre ses mains des siennes Là, tu tiens ton dos bien droit, tu fléchis les jambes et tu tape ! Tiens ta hache en bout de manche, de cette manière tu auras plus de puissance et n’aura pas besoin de frapper comme une bourrine…

POC !

- Tu vois ! Coupé net et précis en un coup ! Essaye tout seule pour voir. dit-il tout en s’écartant pour la regarder faire

PAC !

- Ah oui, c’est beaucoup mieux ! Continue, coupe toutes les petites branches, ne te presse pas, on a tout notre temps ! J’préfère avoir moins de brindilles et que tu ne te blesse pas plutôt qu’un gros tas – dont de toute façon on va pas savoir quoi foutre – et que tu te fasse mal au dos ou que tu fatigues trop vite. Le bucheronnage c’est de l’endurance !
- Compris… répondit-elle dans un murmure pourtant assuré

Retournant alors à son tronc, Uthred continuait de la regarder du coin de l’œil. Il se demandait si la jeune fille était juste timide ou s’il lui faisait peur…

C’est vrai qu’il n’avait rien de très avenant… Entre son comportement d’instructeur bourru, sa carrure de guerrier aguerrit et sa tronche de sorcier terrifiant, il n’avait rien pour plaire à une gamine de seize ans arrachée à sa famille… Uthred n’avait jamais eu vent d’un élu désigné aussi jeune. C’était étrange tout de même, Aliénor n’avait absolument aucune expérience dans ce milieu, elle ne semblait même pas avoir le tempérament qu’il fallait pour ne serait-ce que s’intéresser aux batailles et aux armes… ! Mais, à la réflexion, c’était peut-être justement pour ça que l’Arbre l’avait élue aussi tôt… Pour qu’elle ait le temps nécessaire à sa formation, sous l’égide d’élu plus expérimenté… Enfin, expérimenté… Uthred ne se considérait pas comme expérimenté.

S’il avait été nommé mercenaire, il aurait bombé le torse ! Mais en tant que mage c’était différent… Il apprenait encore à contrôler sa magie et ne pouvait s’empêcher d’avoir encore des réflexes de guerrier… Bah, c’était aussi sans doute pour ça que le Gros Didier l’avait nommé tuteur d’Aliénor. Pour lui donner une attache à sa véritable nature guerrière, pour qu’il ne s’encroute pas, pour qu’il continue de faire quelque chose qui lui plaisait… Et autre chose qu’Uthred n’avouera jamais et que le Gros Didier n’avait sans doute pas compris…

La réalité était qu’Uthred adorait être instructeur. Outre le fait de flatter son égo en le mettant sur le piédestal de celui qui sait le faire et comment le faire, être entouré de jeune gens plaisait beaucoup à l’ancien garde. La fougue de la jeunesse le poussait toujours plus loin dans ses retranchements et ne faisait qu’améliorer ses propres capacités. En se confrontant à d’autres visions – généralement plus modernes car plus jeunes - que la sienne, il apprenait toujours quelque chose. Il avait aussi le souvenir d’avoir lui-même été une jeune recrue, encadré par un sergent bourru et taciturne mais à la pédagogie hors paire ! Cet homme avait été un réel modèle pour lui, un mentor, dont il se souvenait à présent avec nostalgie… Reprendre le flambeau en devenant à son tour instructeur était sa façon à lui de rendre hommage à cet homme mort bien trop tôt d’une simple crise de goutte… Ca avait aussi malheureusement appris à Uthred à ne pas manger trop de charcuterie et à surtout se tenir en forme physique !

Il avait coupé trois belles bûches lorsque retenti un cri aigu. Relevant vivement la tête – il avait lâché Aliénor du regard à peine quelques minutes – il la vit, un doigt dans la bouche et sanglotante.

- Que s’est-il passé ? demanda-t-il tout en s’approchant
- J’ai voulu retirer une brindille qui s’était coincée entre la lame et le manche et je me suis coupée… murmura-t-elle doucement, le corps parcouru de sanglots
- Fais voir. il lui prit la main Oh mais c’est rien ça ! Une coupure de rien du tout ! Tu veux voir mes mains, mes cicatrices ? Regardes ! il lui tendit alors ses grosses paluches, peau sèche et tiraillée, parcourues de multiples entailles plus ou moins fines, tant sur le dessus que sur la paume, tant sur ses callosités que sur ce qu’il restait de tendre le long de ses doigts

Un rideau de cheveux argentés tombèrent sur ses mains alors que la jeune fille se penchait pour mieux regarder. Il ne put voir l’expression de son visage mais l’imagina soit apeurée qu’il arrive la même chose à ses mains, soit sidérée qu’un homme de sa trempe se soit autant blessé… Mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui répondit.

- J’imagine qu’en devenant mercenaire, je devrais faire front à d’autres douleurs plus éprouvantes… C’est pas si mal de commencer par de petites coupures, comme ça j’aurais des cales, comme vous, et aurais une bonne prise pour que mon épée ne me glisse pas des doigts…

Elle avait relevé son beau visage fin et dardait ses yeux dorés – encore plein d’adolescence – vers son mentor qui lâcha un rire circonspect.

- Hem… Oui, c’est ça… C’est une assez bonne vision… dit-il en se redressant C’est très bien que tu ais une capacité réflexive, bien des soldats foncent dans le tas sans réfléchir, et il en va de même pour certains mercenaires. Hors c’est un tort que de se jeter dans la gueule du loup sans réfléchir à comment s’extirper de ses crocs… Tu dois cultiver cette faculté, je t’enseignerais la stratégie lorsque tu seras prête.

Dans un sourire, il s’en retourna à son tronc après l’avoir invitée à reprendre son ouvrage d’un mouvement du menton.