J'en avais terminé avec mon minage de fer, j'avais même plutôt bien remplis la charrette et j'avais bon espoir que Rufus soit content de cette nouvelle cargaison qui rafraîchirait un peu ses stocks. Je n'étais plus très loin de la capitale, il ne me restait plus qu'à traverser les plaines arswaltiennes et un bon retour à la maison ferait du bien. Je détestais cette zone, en revanche. Bien que c'était là que j'avais apprivoisé Douce, c'était malheureusement dans les parages que j'avais gagné quelques cicatrices de brûlures - merci les cerbères - et que je m'étais détourné de la belle Eleanor. Il y avait bien longtemps que je ne l'avais plus vue, j'espérais malgré tout qu'elle se porte bien.

Cigarette au bec, je marchais tranquillement en direction du nord, guidant le cheval de trait qui tirait la cargaison. Douce trottinait joyeusement à mes côtés, apparemment, elle commençait à prendre du plaisir en ma compagnie. Tout du moins, elle semblait m'avoir ENFIN pardonné de cette traitrise, cette manière très fourbe que j'eus de la dompter. Et il fallait dire qu'à sa place, je l'aurais eu mauvaise aussi.
Soudainement, elle se mit à s'éloigner de plusieurs mètres, bêlant à tout rompre. Directement sur mes gardes, je fis s'arrêter le cheval et je saisissais mon sceptre, prêt à en découdre si des cerbères nous faisaient la joie immense de nous tendre un guet-apens. Mais rien de tout cela n'eut lieu. Douce bêlait, de plus en plus fort, désormais immobile mais le regard figé au loin. Quelques minutes plus tard, sous mon interrogation, elle se calma et des échos au loin se firent entendre.
Un autre petit cornu courrait dans notre direction, et Douce s'excita, toute sautillante. J'en déduisis qu'il s'agissait d'un membre de sa famille, ou de son mâle, ou que sais-je encore. Il était vrai que je ne m'étais pas vraiment inquiété de savoir si, en incendiant la pauvre bête, je n'arrachais pas une brebis à ses petits, ou à son compagnon.

Je m'appuyais dos contre la charrette, attendri des retrouvailles des deux petits moutons.

Il avait en sa possession une rune de capture depuis bien longtemps maintenant. Le moment de l'utiliser était peut-être venu. Certes, il était fier de se l'être fabriqué lui-même, mais au fond de sa poche celle-ci ne servait pas à grand chose.
Mélaskholès avait déjà sa petite idée de comment l'utiliser, mais surtout sur quelle créature l'utiliser. L'un des artisans qui occupait l'atelier au moment où il travaillait avait aperçu sa rune et s'était aussitôt intéressé à celle-ci. Il lui avait posé tout un tas de questions sans que l'acolyte ne pût lui apporter la moindre réponse. Il avait une bonne raison à ça puisqu'il n'avait aucune idée de l'usage qu'il pouvait en faire. Ainsi, c'est ce même artisan qui lui avait expliqué absolument tout ce qu'il fallait savoir. Il lui avait finalement suggéré de dompter un cornu après avoir aperçu le bâton que Mélaskholès portait toujours aussi fièrement. D'ailleurs, celui-ci lui avait fait confiance et s'était mis en tête de posséder un cornu.

Voilà pourquoi, à ce jour, Mélaskholès courrait derrière une pauvre créature qui bêlait d'être ainsi poursuivie. Curieusement elle semblait fuir le combat alors que l'acolyte cherchait à l'assommer. Non pas qu'il avait des pulsions meurtrières, mais on lui avait bien expliqué que s'il voulait utiliser sa rune, il lui fallait s'occuper avant ça de la mettre K.O. C'était une drôle de façon de faire, un peu barbare même. Mais il ne venait jamais à l'esprit de Mélaskholès de juger si cela était bien ou mal, du moment qu'on lui en donnait l'ordre.

Les bêlements résonnaient dans toute la prairie, mais heureusement celle-ci semblait déserte. Outre les quelques habitations alentours et les champs, il n'y avait absolument rien à l'horizon. Malgré ça, il craignait d'ameuter des cerbères. Il s'était déjà confronté à eux et il savait à quoi s'attendre, légitimant ainsi ses craintes.
Quant au cornu, il courrait en zigzaguant habilement. L'acolyte frappait continuellement le sol, manquant à chaque fois sa cible. Et même lorsqu'il pensait l'avoir, la créature faisait un bond de tous les diables esquivant encore son coup. Mais l'acolyte ne désespérait pas ! Si la créature comptait sur son manque de patience, on pouvait dire qu'elle se trompait très manifestement. En effet, le jeune homme n'avait qu'une idée en tête, à savoir de la capturer. Et tant qu'il n'obtiendrait pas pleine satisfaction, il tenterait jusqu'à épuisement.

L'attitude du cornu changea en pleine course. Mélaskholès l'aperçut aussitôt et eut l'espoir que c'était là le signe de son abdication. La créature cessa ses brusques changements de direction pour filer sans détour à la façon d'une flèche. Le jeune homme qui courrait derrière se mit à accélérer à son tour, tenant d'une main son bâton pour ne pas le perdre et de son autre main, il tenait son masque qui bougeait dans tous les sens.

C'était terrible ! Il n'avait pas l'endurance du cornu, si bien qu'il se faisait distancer à vue d'oeil. Cependant il en fallait bien davantage pour faire renoncer l'acolyte. Bientôt le cornu ne fut qu'un point au loin. Mais tant qu'il pouvait encore l'apercevoir il y avait encore de l'espoir. Gardant son regard fixé droit devant lui pour ne pas perdre de vue le cornu, il vit apparaître une nouvelle silhouette, bien plus grande. Il fronça les sourcils espérant mieux y voir ainsi. Ce ne fut pas le cas.
Il ne ralentit pas l'allure, reprenant son souffle à grandes respirations. Il avait l'impression d'avoir les poumons en feu.

Les silhouettes au loin cessèrent de s'éloigner. Bien au contraire, elles se dessinaient de mieux en mieux. Mélaskholès avait, semblait-il, gagner cette lutte. Cette idée lui permis de retrouver suffisamment de force pour accélérer une fois encore. Quand il put voir véritablement ce qui se passait, il fut surpris de découvrir Iain, qui fumait encore. Comment n'avait-il pas pu le reconnaître avant ? Sa course prit fin lorsqu'il les rejoignit, lui et les deux cornus qui fêtaient des retrouvailles.

« Iain... dit-il en reprenant sa respiration. Iain ! Quel joie de te retrouver. Tu ne peux imaginer mon plaisir de retrouver un ami. Ceci dit je me doute bien que tu ne peux l'imaginer, mais passons. »

Il sortit sa rune et la déposa dans le creux de la main de son ami. Après quoi, il ajouta. « J'ai toujours su que je pouvais compter sur toi ! Vois-tu, je suis complètement épuisé et... je cours après ce cornu pour le dompter depuis... depuis longtemps ! Je n'ai plus la moindre force pour me battre... Et j'ai vu combien tu étais fort ! » Mélaskholès se tourna vers lui et lui lança un regard chargé de sens. « Surtout lorsque tu m'as attaqué de ton éblouissante boule de feu lors de notre dernière rencontre... »

Spoiler:

Recrachant une longue bouffée de ce sacro-saint tabac, je sentis mes muscles se détendre un peu plus, tandis que je tenais à l'œil Douce et son p'tit congénère. Ils se tournaient joyeusement autour, tantôt se cognant les cornes, tantôt en sautillant. Puis, une silhouette se matérialisa au loin, dans le sens d'où provenait le nouveau cornu, dans un bruit de clochettes.

« Putain c'est pas vrai ... », marmonnais-je en reconnaissant Mélaskholès.

Depuis la guerre opposant l'Union à la Confrérie, je n'avais plus eu le déplaisir de le recroiser. Eleanor et moi l'avions cédé à ses pairs de la guilde pour qu'ils prennent soin de ses blessures, et j'avais bien espéré que nos rencontres allaient s'arrêter là. C'était mission impossible, apparemment.
Il continuait de courir dans notre direction et arriva quasiment devant moi, tout essoufflé.  

« Iain... dit-il en reprenant sa respiration. Iain ! Quel joie de te retrouver. Tu ne peux imaginer mon plaisir de retrouver un ami. Ceci dit je me doute bien que tu ne peux l'imaginer, mais passons. »

Le plaisir n'est pas partagé, mon gars, je te l'assure ... , pensais-je tout en lui esquissant un sourire poli.

« Tiens, voilà le pantin ! Ravi de voir que tu te portes mieux ! » lançais-je alors, faussement.

Il ne répondit rien à cela, et déposa au creu de ma main un caillou. Intrigué, je baissais les yeux et reconnus cette couleur miroitante propre aux runes de capture. Non ... Ne me dites pas qu'il poursuivait le cornu qui sympathisait avec Douce, quand même ?

« J'ai toujours su que je pouvais compter sur toi ! Vois-tu, je suis complètement épuisé et... je cours après ce cornu pour le dompter depuis... depuis longtemps ! Je n'ai plus la moindre force pour me battre... Et j'ai vu combien tu étais fort ! »

Eeet si. Il était totalement là pour ça. C'était bien ma vaine. Je tordis ma bouche en une expression irritée : je n'aimais guère ses flatteries. En plus d'être fausses, elles n'étaient pas nécessaires. Mais, c'était une blague, n'est-ce pas ? Il ne me demandait pas vraiment de dompter le cornu à sa place, pas vrai ?

« Surtout lorsque tu m'as attaqué de ton éblouissante boule de feu lors de notre dernière rencontre... »

Oui, plus de doute possible. Quel culotté celui-là !! Quel intérêt y avais-je ? Pourquoi l'aider, hm ? Je ne l'appréciais pas, même s'il n'était pas méchant, et il avait été évident qu'il ne me portait pas dans son cœur non plus, la dernière fois que nous nous étions retrouvés en présence d'Eleanor. Je ne me rappelais que trop bien combien il avait cherché, cette fois-là, à se mettre en avant et à attirer à lui toute la gloire de la victoire contre le cerbère. S'il était si fort, ne pouvait-il pas se soustraire à tuer le cornu ? Ce n'était qu'une petite créature sans défense, après tout.
Je saisis le poignet de Mélaskholès, enfonçant mon pouce dans ses nerfs pour forcer l'ouverture de ses doigts, et redéposa dans sa paume sa rune.

C'est devant son air interrogatif que je me rappelais de la branlée qu'il s'était pris face à Anay et Eleanor. La force des guérisseurs comme lui était leur capacité à se régénérer grandement, mais ils n'étaient pas connus pour infliger des dégâts considérables. Pas étonnant donc, qu'il demande de l'aide au premier venu. Et bien qu'il me serait tellement jouissif de le voir essayer et finalement tomber face à une si petite créature, il fallait avouer que le voir tomber sous les coups de mes deux camarades dans le conflit de guilde était une vengeance plus que suffisante.

Je soupirais bruyamment, ayant pris ma décision. J'écrasais contre le bois de la charrette ma cigarette après avoir tiré une ultime fois dessus, puis j'appelais froidement à ce que Douce revienne prestement auprès de moi - je ne voulais pas qu'elle soit impactée par ma boule de feu. Je dégainais mon sceptre, bien entendu, et fit claquer mes doigts pour générer cette flammèche si particulière et à laquelle j'étais habitué. Nul besoin pour moi de m'avancer, la distance qui me séparait du cornu n'avait pas la moindre importance. Je concentrais intuitivement mes forces dans la matérialisation de ce sortilège et lorsque Douce, à contrecœur, était enfin revenue à mes pieds, je lâchais la boule de feu qui fila droit sur le cornu.

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